13/09/2012
La Dame à la licorne de Tracy Chevalier
La Dame à la licorne de Tracy Chevalier, ed. de la Table ronde, 2003 / Folio, 2009, 356p.
La Dame à la licorne désigne une tenture de six tapisseries du XVe siècle dont l'origine reste très énigmatique. Le doute plane sur leur commanditaire ainsi que sur l'artiste et le maître lissier qui les auraient réalisées. Certains s'accordent à dire qu'elles auraient été confectionnées à Bruxelles, d'autres à Aubusson. Le fait est que nous n'en savons rien. Le blason qui orne chacune des tapisseries serait celui de la famille des LeViste, mais de même, nous ne pouvons savoir avec certitude quel membre de la famille les auraient ordonnées.
Tout ce que nous savons de La Dame à la licorne est ce qu'on peut en admirer aujourd'hui au musée du moyen-âge de Cluny à Paris : Un travail délicat où se mêle bleu profond et rouge grenat, un décor de mille fleurs, et la séduction d'une licorne à travers les cinq sens ; la sixième tapisserie appelant "A mon seul désir".
C'est cette histoire artistique semée de mystère que Tracy Chevalier se propose de nous raconter dans son ouvrage éponyme, ainsi qu'elle l'avait fait pour La jeune fille à la perle. Ainsi se succède sur deux années les lieux ; Paris, Chelles et Bruxelles ; et les personnages à travers lesquels elle fait revivre la création : Nicolas des Innocents serait le peintre, Jean LeViste le commanditaire et George de la Chapelle le maître Lissier. Autour d'eux gravitent ces femmes souvent dans l'ombre mais toujours primordiales qui auront inspiré Nicolas des Innocents au point de retrouver leurs visages dans chacune des dames tissées.
Ce roman fait partie des livres de hasard que l'on trouve un jour sur l'étale d'un bouquiniste à tout petit prix et que l'on prend à l'impro sans tergiverser. Je n'en avais jamais entendu parlé auparavant ni lu cet auteur ; j'avais simplement vu un jour l'adaptation ciné de La jeune fille à la perle. Mais pour un euro, je ne risquais pas grand chose.
C'est tout autant à l'impro que je l'ai empoigné pour goûter un peu de légèreté après Primo Levi. Et dans cet optique, La Dame à la licorne ne m'a pas déçue. Le style est fluide et sous une certaine simplicité se cache quelques tournures tout à fait intéressantes. Le choix de la polyphonie, certes éculé jusqu'à la moelle et difficile à renouveler, reste bien mené et agréable à lire. Il permet de passer de considérations artistiques en considérations plus triviales selon les personnages à qui la voix est offerte. Il donne à voir, en somme, les différentes facettes d'une époque. En outre, l'auteur brosse des personnalités délicates et bien trempées auxquelles on s'attache sans bouder.
En somme, un roman plus que sympathique qui ravira les amateurs de récits teintés d'histoire, d'art et d'amour et qui donne, clairement, envie de retourner jeter un coup d'oeil à ces somptueuses tapisseries, véritables héroïnes de ces 356 pages.
09:00 Publié dans Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (3)
06/09/2012
Just Kids de Patti Smith
Just Kids de Patti Smith, ed. Folio, 2012, 374p.
C'est d'abord l'histoire de deux gosses largués dans New York, sans le sou mais avec la foi. Patti Smith débarque à Brooklyn en juillet 1967 avec pour seul bagage un amour mystique pour Rimbaud et de quoi écrire. Elle n'a pas d'argent et aucun plan en poche : C'est donc la galère qu'elle cotoie les premières semaines de son trip. Au hasard d'un rendez-vous raté, elle croise un berger psychédélique, boucles au vent et peau de mouton : Robert Mappelthorpe. Dès lors, ils ne se quitteront plus.
D'apparts miteux passionnément investis par leurs univers, à l'hôtel de Chelsea, jusqu'a un loft élégant une fois le succès venu, c'est une relation étonnante, étroite et profonde qui va les unir jusqu'à ce que le sida emporte Robert en 1989. Tout d'abord charnel, leur amour va se muer progressivement en une lumière pure et inspiratrice. Ils avaient un pacte tacite : rester toujours ensemble jusqu'à gagner suffisamment de force pour s'envoler. C'est ce qu'ils ont fait, avec une liberté intérieure qui n'a fait que décupler le magnétisme et la sincérité profonde de leur union.
C'est aussi leur parcours initiatique sur le chemin tortueux de la création. Si leurs talents respectifs ne fait plus doute aujourd'hui, la décennie des seventies a sacrément commencé dans la boue, obligés qu'ils étaient de compter le moindre centime pour manger. Malgré tout, ils ont chacun développer une intense création avec ce qu'ils avaient sous la main. En ces périodes de pauvreté, leur imagination s'accommodait de matériaux modestes ou incongrus sans rechigner. Le tout était de créer. De ne pas perdre ce travail de l'être qui leur donnait envie de vivre. On découvre d'ailleurs avec plaisir que le médium qui les a rendu célèbres - la musique pour elle, la photo pour lui - n'a pas toujours été une évidence. Ils s'adonnaient plus volontiers, qui à la poésie et au dessin, qui aux collages, aux installations/performances et à la confection de colliers abracadabrants.
Et puis, bien sûr, c'est le journal d'une époque : Le New York éraillé, électrique, profondément libre du rock'n'roll où se croisent Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Andy Warhol. Point de clivages entre artistes reconnus et artistes en devenir. Tout le monde se cotoie dans des lieux cultes, des bars où l'on peut consommer en l'échange d'une toile, dans des studios d'enregistrement. Patti Smith enregistrera d'ailleurs Horses en 1975 à l'Electric Lady, non sans saluer Jimi Hendrix au micro avant de débuter Gloria.
Bref, c'est tout ça en même temps et en quelques mots, une quête d'art et d'absolu, avec l'oeil pétillant, un charisme d'enfer et une poésie à couper le souffle.
*
"Robert n'avait guère de patience pour mes accès d'introspection. Il ne semblait jamais mettre en doute son énergie créatrice et, à son exemple, j'ai compris que la seule chose qui comptait, c'était l'oeuvre : le chapelet de mots propulsés par Dieu qui devient poème, l'entrelacs de couleurs et de traits de graphite tracés hâtivement sur la feuille qui glorifie Son geste. Réaliser au sein de l'oeuvre un équilibre parfait entre la foi et l'éxecution. De cet état d'esprit vient une lumière, chargée de vie."
08:19 Publié dans Art, Coups de coeur, Littérature anglophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (2)
03/09/2012
Martin Eden de Jack London
Voyez-vous, j'étais un peu basique : lorsqu'on me parlait de Jack London, je pensais à Croc-Blanc et à L'appel de la forêt, lectures de collège dont je n'ai, par ailleurs, aucun souvenir, et ça s'arrêtait là. Je savais vaguement que son oeuvre allait au-delà mais associé à tort dans mon esprit à un écrivain d'histoires canines pour la jeunesse, je n'ai jamais poussé plus loin.
Et vous savez quoi ? En finissant ce Martin Eden, j'ai fort envie de me fesser le cul avec un poireau en guise de punition et surtout, de lire un autre Jack London ! Parce que, ce livre, chers lecteurs, est tout simplement un chef d'oeuvre magistral !
Martin Eden de Jack London, ed. Phébus, coll. Libretto, 438p.
Aux prémisces du XXeme, le jeune matelot Eden est invité à la table bourgeoise des Morses. Gauche et subjugué, il y fait l'expérience de la honte de sa classe ; y rencontre le luxe, la beauté, la poésie et évidemment, l'amour en la personne de Ruth, de quatre ans son aînée, diaphane à souhait et étudiante en Lettres.
Cet épisode réveille en Martin une ambition fulgurante : apprendre, élever son esprit, briller et gagner le coeur de sa belle.
Dès lors, il s'astreint à un emploi du temps sévère et monacal où se succèdent études, exercices et visites à l'être aimé. Il décide de devenir écrivain et ne ménage pas ses efforts, tant physiques que financiers, malgré l'incompréhension générale de son entourage. Ruth surtout, et sa famille, ne sauraient tolérer un gendre aussi "oisif" et aussi "original" dans ses parti-pris.
Et tandis que, persévérant malgré la faim et la douleur, il parvient enfin au succès, c'est le gouffre de la désillusion qui attend Martin. L'amour s'effrite pour mettre à jour l'opportunisme, la superficialité et la stupidité engoncée des valeurs bourgeoises. Car ce n'est pas tant la teneur des êtres qui intéressent le monde, mais bien plutôt la reconnaissance qu'ils inspirent. Ainsi donc, toutes ses aspirations ne sont plus rien, n'ont jamais rien été, si ce n'est de la poudre aux yeux - et il sombre progressivement.
Le sujet de ce roman, comme vous l'aurez compris à la lecture du résumé ci-avant, est vieux comme le monde : articuler la sagesse de l'amour et l'amour de la sagesse, brosser le portrait d'un ambitieux de basse extraction pour atteindre les sommets de la connaissance et en chuter aussitôt. On aura lu ça chez bien d'autres écrivains du siècle passé (comment ne pas penser à Balzac par exemple) et pourtant, le traitement de Jack London en révèle des éclats nouveaux, brillants, ironiques, d'une infinie pertinence.
Martin Eden est un roman total : à la fois roman d'amour, d'apprentissage, satire de la société bourgeoise, mise en abyme de la création littéraire, et roman philosophique puissant et désenchanté, il est non seulement d'une intelligence stylistique époustouflante mais également moteur d'une série de réflexions universelles autour de l'individualisme, de la pensée unique, et de l'écriture.
En outre, et cela ne gâche rien, il se lit d'une traite, avidement et avec délice.
Après un été de lectures en demi-teintes, soit un brin décevantes soit un brin ennuyeuses, ce Martin Eden m'a redonné un coup de fouet littéraire tout simplement magique !
Merci à ma Lolo pour ce merveilleux conseil de lecture que je ne saurais trop vous conseiller à mon tour avec un vif enthousiasme !
Challenge "un classique par mois"
Septembre 2012
09:00 Publié dans Challenge, Classiques, Coups de coeur, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (1)