18/07/2012
Bellefleur de Joyce Carol Oates
Les grandes vacances : l'instant de toutes les folies. Où l'on ose ce qu'on oserait pas en période scolaire parce que peur de ne pas avoir le temps et l'esprit suffisamment disponible. C'est donc l'instant, chers amis lecteurs, que j'ai choisi pour me lancer dans la sorte de pavé qui me fait d'ordinaire frémir les bouclettes - les vrais bons gros pavés (pas les riquiqui à la Zola) qui pourraient à l'aise Blaise caller le buffet branlant chez mémé : les pavés de près de 1000 pages.
Bellefleur de Joyce Carol Oates, ed. Stock, 1981 - ed. Le livre de poche, 2012, 970p.
Comme vous le savez, je commence généralement mes chroniques par un résumé de l'oeuvre, ou tout du moins, de son début car ordre est mère de toutes les vertus. Je suis pourtant bien embêtée pour suivre mon petit rituel avec cet ouvrage, que je trouve parfaitement "inrésumable". Je vous rassure tout de suite : n'y voyez pas là le signe d'une mauvaise appréciation, bien plutôt l'aveu d'une incapacité face à un roman à tiroirs, à échelles, à pas chassés. Bellefleur déroule la chronique labyrinthique d'une famille haute en couleurs, cette famille si bien-nommée qui donne son titre à l'ouvrage. Elle débute avec l'arrivée de Jean-Pierre Bellefleur sur le sol américain au début du XIXe siècle. Plein d'aspirations, il va amasser un patrimoine terrien gigantesque que ses descendants durant tout le siècle vont tour à tour gérer, perdre, retrouver, refuser ou quitter. Parmi eux, quelques figures emblématiques se détachent et que l'on retrouvera régulièrement dans le roman : Leah, douce et magnétique, portée par sa fille Germaine, Jedediah le mystique, Bromwell le scientifique surdoué ou encore Jean-Pierre II, le tueur en série.
Ecrire une oeuvre de près de 1000 pages uniquement constituée d'épisodes disparates sans suite chronologique et avec une pluralité aussi conséquente de personnages, tel est le défi d'écrivain que s'est lancé Joyce Carol Oates il y a une trentaine d'années. Soyons clairs, c'est aussi un sacré défi de lecteur de s'y coller, sachant que ce n'est ni le suspens ni l'accroche viscérale à l'histoire qui nous feront tourner les pages. Malgré ce qui semble être un handicap au départ, j'ai été portée avec plaisir par ce roman parfaitement étonnant, que je ne pourrais comparer à aucun autre ni ranger dans aucune case. Il s'agit d'une chronique familiale certes, mais sans les ressors habituels du genre qui virent souvent au soap opera. L'écriture est à la fois truculente, incongrue et précieuse. On retrouve quelque chose de parfaitement suranné dans ce XIXe siècle ampoulé de manières, teinté bien souvent de gothique, de noirceur, d'étrangeté : bien des personnages trouvent la mort dans des circonstances toujours inexplicables et, sans jamais le dire, on lit entre les lignes, des apparitions de loups garous, de vampires, et de trolls. On retrouve aussi et heureusement, une grande modernité dans la structure fragmentaire de l'oeuvre, totalement elliptique et faussement hasardeuse, et le caractère fort de bien des personnages, aspirant avec ferveur à prendre en main une vie lestée par son Histoire.
Je ne sais si j'ai "bien vendu" l'ouvrage mais, une chose est sûre, je ne saurais assez vous encourager à découvrir cet étonnant objet littéraire (objet qui, me semble-t-il, est plutôt original dans l'oeuvre de Oates, non? Mes confuses, je ne peux pas l'affirmer n'étant pas connaisseuse de son travail en général)
Armez-vous cependant de patience et de suffisamment de temps libre pour ne pas vous le trainer trop longtemps. Perso, j'y suis depuis quasi un mois et j'atteins ma limite de plaisir sur un seul et même ouvrage. Au-delà, ça commence à me lasser, aussi bon soit le livre.
*
Extrait :
"Bromwell sortir de sa légère transe en entendant résonner un klaxon tout près. Le bruit des Bellefleur, les "urgences" des Bellefleur - il ne pouvait pas se passer un jour sans qu'un ouvrier se blessât, provoquant l'excitation de tout le monde, sans que Leah rapportât de bonnes nouvelles (de l'un de ses voyages), sans qu'une dispute éclatât entre les enfants, sans que des amis, des relations d'affaires ou des parents leur rendent visite ; ou peut-être quelqu'un était-il simplement en train de tapoter le klaxon de la nouvelle Stutz-Bearcat, pour le plaisir de faire du bruit. "Ah, soupira Bromwell. Notre univers a commencé par une explosion d'une violence incommensurable... il est donc naturel que l'espèce humaine repose, pour ainsi dire, dans la violence... en d'autres termes, dans le mouvement." (p. 411)
09:00 Publié dans Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (5)
13/07/2012
Pension Vanilos d'Agatha Christie
Pension Vanilos d'Agatha Christie, 250p.
Poirot est sur le cul (oui, parfaitement) : Miss Lemon, d'ordinaire si méticuleuse, vient de laisser trois fautes dans un courrier. Cela cache forcément quelque chose ! Et de fait, Miss Lemon est inquiète pour sa soeur Mrs Hubbard confrontée à d'étranges évènements sur son lieu de travail, la pension de famille de Mrs Vanilos : divers objets disparates, avec plus ou moins de valeur, sont dérobés depuis plusieurs semaines.
Hercule Poirot se rend sur les lieux et la jeune Célia Austin avoue rapidement sa kleptomanie. Pourtant, tout cela apparait trop simple au célèbre détective qui sent bien que se trame un danger plus sérieux. Il ne faut pas attendre plus d'un jour pour voir le couperet tomber : Célia est retrouvée morte, prétendûment par suicide mais réellement assassinée. Et ce n'est que le début d'une série qui va ronger la pension Vanilos.
Mais pas de panique, Hercule Poirot est sur le coup, avec le bon inspecteur Sharpe !
Dans la rubrique purement subjective, je prends toujours beaucoup de plaisir à fourrer mon nez dans un Agatha Christie depuis que j'ai décidé d'y revenir il y a quelques mois. Cela, c'est un fait. J'adore son ambiance surannée (tellement inscrite dans une époque que lue à la nôtre, certaines réflexions pourraient facilement être taxées de racistes ou passéistes, mais bon, c'est le jeu de lire des trucs tout vieux, ma pauvre lucette, il faut plus en sourire que s'en vexer), ses personnages types qu'on retrouve d'un livre à l'autre (la belle jeune fille qui fume lascivement pendant l'interrogatoire, le jeune héritier mystérieux et sûr de lui, la petite timide avec un balai vous-savez-où, l'étudiant un brin arrogant etc) et évidemment, le fameux détective moustachu, champion toute catégorie des héros belges.
Dans une rubrique un peu plus objective, je dirais que ce n'est pas le meilleur Agatha Christie. Les scènes d'interrogatoires où chacun est passé au grill m'ont paru plutôt ennuyeuses sur la durée, chacune n'apportant sur le moment rien de particulièrement neuf. Les déductions astucieuses de Poirot tombent ici un peu comme un cheveu sur la soupe : je sais qu'il est génial m'enfin de là à déduire tout un *biiiiiip* à partir d'un simple sac à dos lacéré, hmm... Sans aucun autre indice extérieur ? Ca semble plus relever du coup de bol monumental à partir d'une imagination débordante que de la déduction stricto sensu.
Mais bon, voilà, quelques reproches parce qu'il ne faut pas pousser trop loin mémé dans les orties ! Cela dit, Agatha Christie devait compter sur notre amour inconditionnel pour elle pour ne pas nous en formaliser et continuer à dévorer ses bouquins quoiqu'il arrive et vous savez quoi ? Elle a parié juste, c'est pas ça qui va me faire arrêter !
Challenge Agatha Christie
4
Un classique par mois
Juillet 2012
09:38 Publié dans Challenge, Classiques, Littérature anglophone, Polar | Lien permanent | Commentaires (0)
12/06/2012
La stratégie Ender de Orson Scott Card
La stratégie Ender (1er tome du Cycle Ender) d'Orson Scott Card, ed J'ai Lu, coll. Science-Fiction, 1994 (pour la traduction française) 383p.
Dans un temps indéfini, notre planère est en conflit avec les Doryphores - peuple d'insectes améliorés aux velléités de conquêtes terrestres (cliché SF dans toute sa splendeur, bonjour). Lors de la dernière attaque, il y a plusieurs dizaines d'années, les Doryphores ont été repoussés grâce aux talents stratégiques de Mazer Rackham. A présent, la menace d'une nouvelle invasion plane et il devient urgent de trouver un nouveau stratège de génie pour la contrer.
Ce génie-là pourrait bien être Andrew Wiggin, dit Ender, qui intègre l'Ecole de Guerre dès l'âge de six ans. Sensible, ambivalent, résistant, et extraordinairement supérieur à tous les autres élèves - eux-mêmes déjà surdoués-, on comprend rapidement qu'il est appelé à un grand destin qui semble justifier la manipulation incessante dont il est l'objet et les nombreuses souffrances à la fois physiques et morales qui lui dont infligées. Futur sauveur de la planète, oui, mais à titre de pion à qui il ne faut pas trop en dire sous peine de claquage dans la dernière ligne droite...
Non mais là, j'aime autant vous le dire tout de suite : je suis parfaitement outrée ! Qu'est-ce-que c'est que cette propagande de pensée judéo-chrétienne de m***e déguisée en SF ?!
Hmm, en fait, attendez. Avant de m'emballer comme un pou, je vais quand même calmer deux secondes mon courroux et tâcher d'en revenir à quelque chose de plus posé et de plus organisé pour vous exposer correctement mon point de vue (sinon, vous allez croire que je suis juste une excitée du bocal).
Ok, c'est plutôt agréable à lire. C'est pas mal écrit, les personnages sont sympas et comme pas mal de bouquins de SF (comme c'est également le cas avec les polar), on tourne les pages assez avidemment parce que, bordel, on veut connaître la suite. Sur ce point, je vais donc pas faire ma bégueule : j'ai tourné les pages comme tout le monde et je suis allée jusqu'au bout, sans bouder mon petit plaisir de lectrice.
Au-delà de ça, de quoi est-il question?
D'une part, de la négation totale de l'enfance. A peine six ans, et déjà les enfants sont conditionnés à vivre, à penser et à agir comme des adultes (et encore, je ne voudrais pas vivre, penser et agir comme ça pour tout l'or du monde, même pour la sauvegarde de ma planète). Quid du temps du jeu, de la gaité, de l'insouciance. Ben quedalle. Non mais tu crois quoi ? Qu'on est au pays des Bisounours?! Alors ouais, je sais, c'est de la SF, tout ça... Sauf que la portée du propos est tout de même lourde de sens quand elle est mise en corrélation avec le reste.
D'autre part, de la négation totale de la liberté individuelle. Dès le début les enfants sont surveillés avec des boitiers incrustés à la base du cou. Par la suite, ils le sont pas d'autres biais. Les familles ont un quota précis d'enfants à respecter. Tout acte doit rentrer dans un projet collectif bien rôdé et il n'est pas permis d'avoir quoique ce soit à y redire. Ca me rappelle étrangement un autre bouquin de SF qui, lui, avait au moins le mérite de dénoncer cet état de fait. Là, on nous le présente juste au premier degré, sans rien dénoncer du tout, et vu le succès du bouquin, j'en déduis que je suis la seule à y avoir trouver quelque chose à redire. Ce qui, en soit, fait franchement flipper.
Et enfin, de la négation totale du bonheur. Ah ben oui, quoi, tu croyais qu'on arrivait à quelque chose dans la vie en étant heureux toi ? Ben non, faut souffrir, faut se flageller mon coco, parce le succès ne se présente qu'à celui qui en aura suffisamment chié. La souffrance est nécessaire, mets-toi bien ça dans le crâne. Tu sais, c'est un peu comme dans la Bible : souffre bien pendant toute ton existence terrestre, et alors, tu auras peut-être droit au Paradis. Ben là, c'est le même topo, version excellence futuriste.
"- Je ne suis pas un homme heureux, Ender. L'Humanité ne nous demande pas d'être heureux, elle nous demande d'être intelligents afin de pouvoir la servir. D'abord la survie, puis le bonheur si nous y parvenons. Alors, Ender, j'espère que tu ne me raseras pas, pendant ton entraînement, de ne pas pouvoir d'amuser. Détends-toi, si tu le peux, quand tu ne travailles pas, mais le travail d'abord, l'apprentissage d'abord, gagner est tout parce que, sans cela, il n'y a rien."
p330
"- Nous devons partir. Je suis presque heureux, ici.
- Alors, reste.
- Je vis depuis trop longtemps avec la douleur. Sans elle, je ne saurais pas qui je suis." p383
Tout cela bien sûr est en prime en mettre en perspective du fait qu'Orson Scott Card est mormon. Et franchement, quand on le lit, ça se renifle à des kilomètres. De même que Stephenie Meyer qui a visiblement mal digéré sa Religion au point de nous faire un exposé déplorable de la sensualité à travers la figure du vampire dans sa série pour ado prépubères dont je tairai le nom, Card nous sert ici la même bouse flagellante sauce SF. Bon ben, j'ai envie de dire "à d'autres" hein. Perso, c'est pas ma came, ce genre de propagande.
09:00 Publié dans Littérature anglophone, SF/Fantasy | Lien permanent | Commentaires (5)