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05/12/2013

La poésie du jeudi avec Yuan Hongdao

Poésie jeudi.jpgPour ce nouveau jeudi poétique inspiré par Asphodèle, je vous propose de voyager en Extrême-Orient, en Chine plus précisément. Depuis plus d'un millénaire, les peintres comme les poètes ont développé une sensibilité particulière pour la nature et ses paysages. Bien de leurs œuvres se sont créées, inspirées de ses traits et de sa vitalité. Le "paysage" est une catégorie de prose artistique qui tient une place essentielle dans la littérature chinoise.

Ce souffle du "paysage en prose" n'existe pas en Occident - on peut le rapprocher de certaines "notes de voyage" ou "promenades" mais n'a malgré tout pas d'équivalent en Occident. Pour François Cheng, le paysage chinois en prose "inspire toute une philosophie de vie [...], celle d'une intime communion avec l'univers vivant" et  est "le fidèle reflet de l'âme chinoise".
Voici un paysage en prose extrait d'une anthologie intitulée Les Formes du Vent publiée chez Albin Michel en poche et traduite par Martine Vallette-Hémery.

 

 

L'onde de la littérature

Yan Hongdao

 

Après avoir loué une maison près de la Porte de Dongzhi, j'ai aménagé ma bibliothèque dans une petite pièce à droite de la principale et, au-dessus de la porte, j'ai écrit ce nom, emprunté à Xu Wei : Cellule de l'Onde de la Littérature.

Quelqu'un m'a dit : "Votre région natale n'est qu'un vaste paysage d'eau. Mais ici, dans la capitale, le bruit et la poussière montent jusqu'au ciel et obscurcissent l'éclat du soleil. Il n'y a pas une goutte d'eau, pas plus dans cette pièce qu'ailleurs ; comment s'imaginer y voir une onde?"

Ermite de ce lieu, je répondis en souriant : "Il ne s'agit pas de la réalité de l'eau. Mais rien, sous le ciel, n'est plus proche de littérature que l'eau. Elle part soudain tout droit, ou soudain change de cours. Elle couvre et découvre le ciel ; en un instant, une sombre nuée s'étend à l'infini. Ténue, c'est un voile de soie ; en tourbillon, c'est l'oeil d'un tigre ; en cascade, c'est un rayon céleste ; dressée, c'est un mont de jade ; déployée, c'est un dragon ; éparpillée, c'est la brume ; inspirée, c'est le vent ; irritée, c'est le tonnerre. Rapide ou lente, nonchalante ou brusque, elle jaillit sous dix mille formes. Voilà pourquoi ce qu'il y a de plus prodigieux, de plus changeant sous le ciel, c'est l'eau. Né dans une région aquatique, j'ai été habitué à l'eau dès l'enfance, je me crois toujours près de l'eau. J'ai traversé le Dongting, passé le Huaihai, franchi le Taihu ; mon bateau est allé au Yantan ; j'ai exploré les merveilles du Wuxie, parcouru les plus beaux sites des fleuves et des lacs, épuisé toutes leurs métamorphoses. Et, désormais, je pense qu'il n'est pas, sous le ciel, d'eau qui ne soit littérature.

Depuis que je suis en poste dans la capitale, je ferme ma porte et poursuis ma méditation. Ma poitrine se dilate comme lors d'une rencontre réelle. Tout ce que j'ai vu autrefois, déferlements de vagues, remous profonds et rides de surface, est soudain devant moi. Je prends alors un livre, Mémoires historiques ou poèmes de Du Fu, Li Bai ou Su Dongpo, et, à mesure que je lis, l'eau déploie devant moi toutes ses fantastiques métamorphoses. Elle se ramasse dans une gorge, se cabre dans des vagues, chante dans une source, se dilate dans une mer, se déchaîne dans une cascade, se recueille dans un étang. Tout ce qui est souple et sinueux est eau. Toute littérature, pour moi, est eau. Une montagne, haute ou basse, si elle est belle, sans doute est-elle aussi littérature ; mais ce qui est haut ne peut s'abaisser, ce qui est raide ne peut s'assouplir ; c'est chose morte. L'eau, non. Aussi l'âme de la littérature et celle de l'eau sont-elles de même essence sous leurs apparences différentes. Voilà pourquoi je ne vois, dans ma cellule, que de l'eau. Les fleuves et les mers se succèdent jour après jour devant mes yeux. Si vous ne le comprenez pas, c'est que vous avez l'esprit borné. Qu'y-a-t-il à redire au nom de ma cellule?"

 

*

 

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Source de l'image

 

21/11/2013

La poésie du jeudi avec René Char

Poésie jeudi.jpgTroisième jeudi poétique grâce à l'initiative d'Asphodèle !

Aujourd'hui, je vous propose un morceau de René Char, extrait de Fureur et Mystère publié en 1962. Je ne suis pas très connaisseuse de son oeuvre et je n'aime pas tout ce que j'ai lu équitablement mais certains textes me touchent particulièrement et résonnent avec douceur ou fougue, à l'image de cette citation que j'aime souvent à me rappeler :

 

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.  »

 

Ici, je vous livre un poème dédié à Arthur Rimbaud qui insuffle l'envie de vivre et de vivre avec passion !

 

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!


Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.

Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.

 

09:04 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8)

07/11/2013

La poésie du jeudi avec Arthur Rimbaud

Poésie jeudi.jpgPour ce nouveau rendez-vous poétique grâce à Asphodèle, je voudrais vous faire partager un poète qui m'a beaucoup marquée pendant mes années universitaires : Arthur Rimbaud. Pendant mon adolescence, je l'ai plutôt fréquenté de loin. Il faut dire que son génie est aussi ébouriffant qu'il est souvent obscur au lecteur. Et puis, à l'université, j'ai eu la chance d'avoir un professeur de XIXème fantastique, de ses profs qui vous font vivre la littérature. Il déclamait régulièrement des poèmes avec une fougue et un emportement qui m'a définitivement fait comprendre que si l'on ne comprend pas toujours tout aux vers, ils sont avant tout une musique à l'oreille et à au cœur. Et cela saisi, j'ai eu un coup de foudre pour Arthur Rimbaud, poète par excellence des sensations et des folies de l'être.

Voici donc un de ces poèmes déclamés, extrait des merveilleuses Illuminations rimbaldiennes. Je serais infoutue d'en expliquer la moindre signification - bien que le professeur nous en ait sûrement donné quelques pistes - mais j'ai encore le souvenir vivace de l'instant magique où je l'ai entendu pour la première fois et où je me suis dit qu'il y avait là la quintessence de la vie et de la littérature (ce qui, n'est-ce pas, est un peu un pléonasme)

 

À une raison


Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, — le nouvel amour !

« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n'importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux», on t'en prie.

Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.

 

*