23/01/2015
Le peintre d'éventail de Hubert Haddad
Le peintre d'éventail de Hubert Haddad, Folio, 2014, 180p.
Matabei fuit la ville, son quotidien de peintre brillant et un accident terrible dans la contrée reculée d'Atôra. Il vient se lover dans dans l'écrin d'un jardin fascinant et retrouve peu à peu la quiétude des jours oubliés. Il déambule et ne pense à rien. La nature a elle seule est pleine des émerveillements et des douceurs qui poussent à la vie. A travers ces fleurs, Matabei devine peu à peu un être presque transparent : Osaki, le jardinier, et peintre d'éventail secret en sa modeste demeure naturelle. A ses côtés, Matabei apprend l'art fugitif des impressions à peine saisies, ainsi qu'il l'apprendra plus tard à Hi-Han.
"Peindre un éventail, n'est-ce pas ramener sagement l'art à du vent ?" (p.45)
Que tout serait parfait dans la permanence de ces jours simples, entre la terre et le pinceau... Si seulement les jardins ainsi suspendus échappaient aux catastrophes de l'ère des hommes et n'avaient pas à souffrir, encore ; à être noyés impitoyablement sous la boue explosives et les tremblements...
"Trempée de rosée
dans les parfums de cent fleurs -
tu t'éveilleras"
(p.167)
En lisant ce roman, nous acceptons d'être Matabei. Ainsi, les jours se suivent et nous contemplons le jardin. Les évocations jamais ne se ressemblent. Nous emplissons nos poumons de l'air frais d'Atôra, des parfums de Dame Hison et de l'art délicat d'Osaki. Chaque chapitre, très court, est une promenade dans ce labyrinthe inatteignable, siège de l'émotion, des impressions et des passions harassantes.
A cet esprit contemplatif, tout à fait japonais et plein de haïkus délicieux, Hubert Haddad mêle les chatoiements exigeants et étoffés de la poésie occidentale. Le peintre d'éventail est, à mon sens, le mariage subtil et réussi de l'impermanence aérienne de l'art oriental et du velours occidental. Peindre le presque rien, l'éclat d'un morceau de soleil sur un pétale de rose ou l'horreur indicible de la perte absolue en un déferlement de participes ou dans les plaisirs des exclamations, des adjectifs accumulés à loisir : voilà un défi d'importance que l'auteur relève et surpasse avec le talent d'un peintre d'éventail. Et comme toute œuvre de talent, le cœur du lecteur se soulève en même temps que la terre au fil du récit, car ce ne sont pas seulement les yeux qui se régalent des mots sur le papier ; c'est l'être tout entier qui vit au contact du texte.
Un texte plein de "maîtrise et de grâce" comme le dit joliment - et justement - la quatrième de couverture qu'il convient de savourer pour mieux se laisser emporter.
Tawaraya Sotatsu (1600-1643)
Challenge L'art dans tous ses états chez Shelbylee
6eme lecture
12:07 Publié dans Art, Challenge, Littérature française et francophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (10)
30/06/2014
Le Fils de Judith de Marie Cosnay
Le Fils de Judith de Marie Cosnay, Cheyne éditeur, 2014, 89p.
Helen s'en est allée, longtemps. Elle a fuit son père d'adoption, le vieux Quentin, et la ville où elle a grandi. "Je choyais tout ce qui me préparait à la mort", dit-elle (p. 11). La vie, dès les premières pages de ce récit poétique, est une spirale immense et pénétrante. Après s'être longtemps écartée du centre, il est temps d'y revenir. L'appel est aussi énigmatique qu'impérieux. Aussi, revoilà Helen devant la maison du vieux Quentin dont la bibliothèque a brûlée jadis. Peu de mots, des enjambées démesurées qui mènent à la tombe du frère inconnu où Helen fut découverte. "Mon fils Eugen aurait l'âge d'être ton père." (p. 15). Quentin part en laissant une enveloppe et Helen saute dans un train pour Hambourg. C'est le début de bien des trains à la recherche, semble-t-il fortuite, d'Eugen : le frère, le père, le génie, le disparu toujours proche. De gare en gare, souvent vides, Helen croise des personnalités hallucinées, qui ne parlent qu'à demi-mot, pour la guider vers elle-même.
Ne cherchez pas vraiment d'histoire, il n'y en a pas ou si peu - pour filer la métaphore. De voyage il est bel et bien question pour mieux l'éclater, et comme tout est cercle, les éléments s'enchaînent éparses pour recomposer ce mouvement centripète. Tout se mêle dans ce récit émouvant, tortueux et exigeant. En un mot : poétique. Il y a bien la trame du retour chez soi mais subvertit car l'ancrage n'existe pas : ce que l'on retrouve, c'est l'immensité, la permanence des dissolutions. Il y a cette ascendance qu'Helen cherche désespérément mais qui n'est déjà plus là lorsqu'il s'agit de la toucher du doigt.
Les éléments sont lacunaires ; le puzzle est plein d'interstices que la langue vient remplir. Puisque les questions sont autant d'ombres projetées, la langue virtuose - rien de moins - de Marie Cosnay gratte la lumière, trace un violent trait noir, dépouille ou ensevelit. Tout est dans la langue qui tantôt maintient l'équilibre, tantôt précipite dans la lucidité ou l'abandon.
Ce court récit s'offre plein de beauté aux yeux amoureux des mots, aux esprits poètes et aux âmes errantes. Un style, un parti pris, qui ne plairont sans doute pas à tous en ce qu'ils appellent un lecteur actif et passionné. Pour ces derniers, le dernier opus de Marie Cosnay est un sacré petit bijou.
Spéciale dédicace à ma Charline douce : j'ai bien pensé à toi en lisant ce texte qui devrait te ravir !
Merci à Cheyne éditeur et à Babelio pour ce livre reçu à l'occasion des dernières Masses Critiques.
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Il aurait fallu arracher un à un les poils du corps et les poils des châles sombres desquels les femmes s'enveloppent. On restait là, agonisant et languide, avec la soif devant une fontaine imaginée. Eugen ne connaissait pas le plaisir.
Des choses bleutées sous une lune de début d'été - des choses bleutées comme des corps. Entre les choses il n'y a pas d'espace mais cette odeur, retrouvée dans les montagnes, passée et mûre, composée de toutes pièces depuis les bains amniotiques, les talcs et les pays changeants. Les steppes et les moisissures subtiles ramassées.
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08:00 Publié dans Littérature française et francophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (8)
12/06/2014
La poésie du jeudi avec Rainer Maria Rilke
Point de blabla introductif aujourd'hui ; simplement un poème découvert par hasard au détour de la toile et immédiatement adoré. Simple et sublime : l'essence de Rilke.
Bon jeudi poétique !
La déesse
Au midi vide qui dort
combien de fois elle passe,
sans laisser à la terrasse
le moindre soupçon d'un corps.
Mais si la nature la sent,
l'habitude de l'invisible
rend une clarté terrible
à son doux contour apparent.
Rainer Maria Rilke
Illustration : The Light of the Harem (détail) de Frederick Leighton (1880)
08:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (20)