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20/02/2014

La poésie du jeudi avec Joséphine Bacon

Poésie jeudi.jpgPour ce nouveau jeudi poétique, je vous propose la découverte de Joséphine Bacon, poète innue et québécoise. Sa poésie, qu'elle écrit dans les deux langues français et innu, s'imprègne de sa culture amérindienne d'origine. Ainsi le titre du recueil dont est extrait le morceau d'aujourd'hui, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana, publié en 2009, évoque les repères marqués qui permettaient aux nomades de s'orienter dans les terres sauvages et de retrouver leur voie. En l'occurrence, et par un joli parallèle aussi métaphorique qu'homophonique, c'est la voix de sa nation que Joséphine Bacon propose de retrouver à travers l'écriture littéraire.

Belle découverte et bon jeudi poétique à tous !

 

 

Le Nord m’interpelle

 

Ce départ nous mène
vers d’autres directions
aux couleurs des quatre nations :
blanche, l’eau
jaune, le feu
rouge, la colère
noir, cet inconnu
où réfléchit le mystère.

Cela fait des années que je ne calcule plus,
ma naissance ne vient pas d’un baptême
mais plutôt d’un seul mot.

Sommes-nous si loin
de la montagne à gravir ?

Nos sœurs de l’Est, de l’Ouest,
du Sud et du Nord
chantent-elles l’incantation
qui les guérira de la douleur
meurtrière de l’identité ?
Notre race se relèvera-t-elle
de l’abîme de sa passion ?

Je dis aux chaînes du cercle :
Libérez les rêves,
comblez les vies inachevées,
poursuivez le courant de la rivière,
dans ce monde multiple,
accommodez le songe.

Le passage d’hier à demain
devient aujourd’hui
l’unique parole
de ma sœur,
la terre.

Seul le tonnerre absout
une vie vécue.

 

 

13/02/2014

A mon seul désir de Yannick Haenel

A_mon_seul_desir_couv.jpg
A mon seul désir de Yannick Haenel, ed. Argol, 2005, 136p.

 

coup de coeur.jpgLorsque l'éditrice Catherine Flohic propose à Yannick Haenel d'écrire un livre pour sa collection Entre-Deux consacrée à la rencontre d'un auteur et d'une œuvre d'art ou d'un plasticien, ce dernier choisit immédiatement les tapisseries de La Dame à la licorne. De cet instinct lancé vers le rouge profond, le mystère et l'immédiateté d'une œuvre du fond des âges médiévaux, l'écrivain nous livre une promenade poétique dont tous les chemins semblent circuler autour d'un même feu : celui du désir. 

Désir de l’œuvre d'art, désir esthétique de la contemplation. A force de fréquenter quotidiennement le musée de Cluny et de se plonger dans toutes les beautés des tentures, Yannick Haenel devient habité par elles. Devient elles. Les respire, les expire, les rêve, les prolonge indéfiniment. S'écrit à quel point qui observe, qui regarde vraiment, peut donner vie. Ou bien réalise enfin que ce qu'il observe vit déjà. Cette joie du regard est un hommage merveilleux à l'Art avec un grand A qui se glisse dans tous les petits a de l'abondance des instants quotidiens.

"La beauté claire de la dame est entrée dans mon corps, elle parcourt maintenant mes épaules, elle s'est transportée à l'intérieur de mon sang, comme un frisson de couleurs ; et ses cheveux naviguent dans mes veines : toute sa blondeur clignote dans la nuit. Le duvet tremblé de la peau, je l'avais dans ma bouche, je lui léchais le doux - ou plutôt, sa douceur se léchait dans ma bouche. Et ma gorge était tapissée de soie, mes poumons vibraient de rouge et de bleu. Un chatoiement enveloppe la nuit dans une seule flamme dorée où s'estompent les contours". p.41

Désir de l'autre, qu'il soit corps tapissé et tressé ou corps tangible. Désir de la femme, sous la plume d'Haenel, qui rend hommage tant à cette Dame énigmatique qu'il comprend loin d'être virginale - toute dans la pudeur et donc l'épanouissement du désir profond - qu'à cette Soyeuse qu'il croise régulièrement et qu'il semble admirer par l'envie de la saisir physiquement. Le corps est territoire du désir, aventure et d'autant plus désir qu'il se réalise perpétuellement.

"Un corps est une nuée de gouttes vertes et bleues, un terrain de pluies, un éventail de saison où se ranime à tout moment chaque pensée qu'a eu ce corps.

Un corps est un ruban de nuances enroulé sur d'autres nuances où se formule l'avenir de toutes ses désertions. Lorsque le corps déserte, c'est pour continuer à être un corps : un corps devient un corps lorsqu'il rencontre l'éclaircie qui soulève son désir." p.89

Désir d'écrire, évidemment. Car à travers cette lumière chantée de l'Art et de l'autre, c'est l'écriture qui est louée. Inspirée par le différent, elle le rejoint en se créant. Les arts ne cessent jamais de se répondre en lançant les fulgurances de l'insaisissable. L'écriture est le pouvoir de communiquer à travers les disciplines, les cultures, les âges ; l'écriture, et particulièrement la poésie, est voyage et partage, mystère et échange. Contrée privilégiée du désir.

"[...] la littérature, à chaque fois qu'elle est absolue - quand elle n'obéit à rien-, reprend vie." p.38

"Les œuvres n'existent pas pour se substituer à nos désirs, ni pour guérir un manque; Il s'agit de faire l'expérience de son propre désir en l'exposant à celui qui vibre au coeur de l’œuvre.

"Le rapport que l'on a avec une œuvre dépend ainsi de ce que l'on dégage dans sa vie pour l'accueillir ; et de la manière dont on s'engage dans ce rapport : c'est le début de la vie poétique." p.56

Tout cela compose la jouissance d'être, qui n'est pas satisfaction du plaisir mais totalité, liberté absolue, extase de se fondre dans l'imperceptible. Et lorsque la boucle est bouclée, le désir enroulé autour de son objet avec une puissance si ténue que le créateur, le désirant et le désiré forment un tout parfait, la complétude conclue le récit de lui-même. Et la Dame à la licorne de sourire infiniment.

"Un jour, vous n'avez plus rien à cacher, et personne alors ne peut plus vous saisir. L'imperceptible est le plus beau des emplois du temps puisqu'il est l'emploi que le temps fait de lui-même. Et si vous êtes là, ça aura lieu à travers vous". p.118

 

 

Merci mille fois à Charline pour le cadeau de ce sublime récit poétique lors du swap de Noël, toi ma douce Dame de Goût.

 

dame_gout.jpg

 

Challenge Shelbylee.jpgChallenge L'art dans tous ses états chez Shelbylee

3eme participation

06/02/2014

La poésie du jeudi avec Albane Gellé

Poésie jeudi.jpgPour ce nouveau jeudi poétique, j'ai décidé de fêter le nouvel an chinois. Depuis jeudi dernier (vendredi matin en Asie), nous sommes passés selon l'astrologie chinoise dans l'année du cheval de bois jusqu'en février 2015. Le cheval est signe de créativité, d'énergie et d'enthousiasme. Quoi de mieux pour chapeauter aujourd'hui l'inspiration poétique ! En l'honneur de cet auguste animal, je vous propose donc un extrait du recueil Je, Cheval d'Albane Gellé publié chez Jacques Brémond en 2007 (un peu de poésie contemporaine française, ça ne rigole plus!). Une ode à l'animal bien sûr ; mais plus encore dans la distorsion syntaxique du titre, l'élan d'un lien puissant, équilibre, de l'un image/balance/émotion de l'autre ; un nouvel être créé. «  En offrande l’encolure, et la tête dans une courbe, que le reste prolonge, avec les mains de l’autre corps. A cheval, l’équilibre s’applique »

Je vous souhaite une belle découverte cavalière.

 

Je, Cheval

 

Je, le cheval, l'animal, le corps, le sauvage.
Je, dans le cheval comme dedans l'écriture. Avec l'indomptable l'équilibre l´inconnu le jamais acquis. L'extrême attention au monde. Entre panique et jouissance. Ce qui en moi est cheval. Proie fuite solitude et troupeau. Ce qui en moi résiste, s'obstine, risque. Ce qui en moi s'en va, pour rejoindre.
 
A cheval je suis d'emblée au cœur des choses, désencombrée, réunie. Débarrassée des entraves périphériques, des nœuds stériles. Dans le vif du sujet. Je me rejoins, dans une extrême présence à ce qui m'entoure. Dénouée.
 
Pas dans la terre seulement, un cheval. Sous ses pieds dans la terre aussi, dans le dos, au creux, et tout au long de l'encolure jusqu'à la nuque, les oreilles, au bout.
 
Si vite le corps paniqué, quand pas assez cheval finalement, l'homme en face. Sinon de la tendresse, brusque dans l'herbe ; le cou tendu comme une oie blanche. Le mot cheval au-dedans. Les mouvements les muscles quand au galop, cette chaleur dessous. Quand tout se rassemble, est rassemblé, pour faire vivant le cheval à deux têtes que nous sommes.
 
Dehors il y a des lions dans les yeux du cheval, tout seul avec son corps de zèbre. Ce n'est pas l'homme vraiment qui le rassure, ou une seconde seulement parce que cheval c'est solitude. Et à la fois inséparable d'un autre dans le pré. Enfantin presque il se raccrocherait à un âne.
 
Marcher à côté, sur la route de retour, avec dans les oreilles le pas du cheval, qui va chaud dans le dos. Tranquille, et respire. Aller chacun dans sa fatigue, la même, parmi les odeurs mélangées du cheval et de la pluie. Et ça ne le freine pas, toute cette eau qui tombe. Il va contre, il a de quoi. Libre enfin, il retourne à la terre, calme, il se roule, avant de se secouer se relever, debout comme un cheval.
 
Couché le cheval est-il encore vivant, est-il encore cheval. Jusqu'à ce que la tête bouge, que l'encolure emmène le reste, et les jambes s'envolent avant de se remettre d'aplomb. De la poussière vole.
 
Cheval sellé et l'autre dans le pré, ils se ressemblent. Les mêmes oreilles, qui ne font pas n'importe quoi. Quelque chose dans le sang, insensé, échappe. Un écart pour une couleur trop vive de plastique dans un arbre, il y a de quoi s'écarter du chemin pas sauvage. Des naseaux à la croupe. Le cheval attentif à dehors plus qu'à lui-même. Que se passe-t-il-quand il s'arrête, les quatre pieds plantés pour toujours.
 
Si dans les jambes quelque chose casse, pas le sabot, plutôt un os, un muscle, fini le cheval c'est debout ou c'est mort. Fragile devant du barbelé. Pourtant quatre pieds. Il suffit d'un bruit de train, le cheval seul est capable de tout risquer en un quart d'heure, et tant pis si au bout, un accident, la mort.
 

cheval2014.jpg

09:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (20)