Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/05/2014

La poésie du jeudi avec Tomas Tranströmer

Poésie jeudi.jpgC'est une poésie scandinave que je vous propose aujourd'hui de découvrir. Il est rare pour un poète dans notre monde contemporain de jouir d'une certaine renommée littéraire dans son pays, n'en parlons pas dans le monde. C'est pourtant le cas de Tomas Tranströmer, né en 1931, considéré comme un des plus grands poètes suédois et traduit en 55 langues. Ce succès et ce talent ont d'ailleurs été récompensés par le Prix Nobel de Littérature en 2011. C'est dire si on a pas à faire à un obscur barde de derrière les fagots.

C'est à l'occasion de ce prix que j'ai découvert Tranströmer. Depuis, j'apprécie picorer régulièrement Baltiques, recueil publié chez Gallimard qui renferme ses textes de 1954 à 2004 (auparavant, ses différents recueils étaient publiés par Le Castor Astral). J'aime sa langue fluide et directe au service d'une certaine rugosité de l'existence. Si les grands espaces, l'immensité des territoires scandinaves sont régulièrement convoqués, c'est bien pour ébaucher la nature profondément tellurique de la vie. Celui qui s'élance est toujours attiré par la terre. Nulle spiritualité un peu facile donc, mais une humanité envolée, en harmonie avec le monde, qu'il soit fait de nature sauvage ou d'autoroutes. Voici un petit texte délicieux, dont le titre dit déjà tout, au tout début du recueil. Belle journée poétique, et férié qui plus est !

 

COHÉSION

Voyez cet arbre gris. Le ciel a pénétré
par ses fibres jusque dans le sol -
il ne reste qu'un nuage ridé quand
la terre a fini de boire. L'espace dérobé
se tord dans les tresses des racines, s'entortille
en verdure. - De courts instants
de liberté viennent éclore dans nos corps, tourbillonnent
dans le sang des Parques et plus loin encore.

 

 

suede4.jpg

17/04/2014

La poésie du jeudi avec Emile Verhaeren

Poésie jeudi.jpgUne fois n'est pas coutume, je découvre le poète d'aujourd'hui en même temps que j'en choisis un texte. Car je me suis dit que j'allais faire d'une pierre deux coups en participant à la fois à l'excellent jeudi poétique d'Asphodèle et au mois belge d'Anne et Mina. Souci : à part Henri Michaux que j'ai déjà cité en ces augustes pénates, je ne suis pas spécialement calée en poésie belge... Hmm... J'ai donc fureté sur google pour découvrir quelles plumes se cachaient derrière quelques noms qui ne m'étaient pas inconnus (les noms seulement) et j'ai particulièrement pris plaisir à déguster quelques pièces d’Émile Verhaeren empruntes de symbolisme et de lyrisme, le tout en vers libre et lumineux. J'ai opté pour un court texte - la poésie me semble décidément toujours mieux fonctionner dans la brièveté, le saisissement fulgurant, pas vous ? - dont le message m'a touchée.

Bon jeudi poétique à toutes et tous !

 

 

Au bord du quai

Et qu'importe d'où sont venus ceux qui s'en vont,
S'ils entendent toujours un cri profond
Au carrefour des doutes !
Mon corps est lourd, mon corps est las,
Je veux rester, je ne peux pas ;
L'âpre univers est un tissu de routes
Tramé de vent et de lumière ;
Mieux vaut partir, sans aboutir,
Que de s'asseoir, même vainqueur, le soir,
Devant son oeuvre coutumière,
Avec, en son coeur morne, une vie
Qui cesse de bondir au-delà de la vie.

 

mois-belge-logo-khnopff.jpg

05/04/2014

Madame Orpha de Marie Gevers

madame-orpha.jpg
Madame Orpha de Marie Gevers, Espace Nord, 2006 [1934], 258p. (notes comprises)

 

Voilà. Cela ne m'arrive pas souvent mais je ne parviens pas à parler de ce roman. J'écris deux lignes et j'espace tout car rien ne me convient, rien ne me semble rendre hommage assez justement à ce délicieux roman - car il est délicieux, précisément. Comme l'eau vive, la rosée qui glisse dans le cou, un cornet de glace, l'air marin.

Si Madame Orpha relate la passion interdite qui unit la femme du receveur éponyme à Louis le jardinier, Marie Gevers nous la livre à travers le regard elliptique d'une jeune fille entre enfance et adolescence - et même si elle n'est jamais nommée, cette jeune fille semble bien être l'auteur et le roman, fortement autobiographique. La narratrice ne surprend que peu d'instants volés des amants. Elle entend surtout parler - ses parents, les domestiques, les gens du village -, elle observe les oiseaux amoureux et son étang bien aimé où vivent et meurent les saisons ; elle lit aussi beaucoup et les dictées de Télémaque de Fénelon égrainent les chapitres. La passion ne nous est donc livrée que par bribes au milieu d'autres bribes (amateur de romances, passe ton chemin) et c'est peut-être bien le devenir-femme qui se dessine comme véritable héros du roman.

C'est étrange car, lorsqu'on entre dans un roman de Marie Gevers, il nous semble glisser sur une petite barque, dans une aube de printemps. Le style est doux, poétique ; le propos presque anecdotique et d'une tendresse qui nous fait retomber en enfance.

"Ce matin de printemps, enveloppé de buée claire, semblait lui-même le bourgeon odorant de la grande fleur bleue que serait le ciel à midi." p. 34

Et puis, plus on avance, plus des détails savamment distillés, des tournures de phrases, des morceaux épars interpellent notre regard critique et l'on commence à saisir toute la texture profonde et les ramifications multiples du récit. Outre le caractère initiatique du roman, ce fameux devenir-femme évoqué ci-avant sur lequel se conclut le texte comme une ouverture à la perpétuation des passions amoureuses,

"Ce flambeau de l'amour, quand il tombera des mains d'Orpha, une autre le ramassera, puis une autre, une autre... et un jour ce sera moi.


Ainsi parlait Eve
Ainsi parlait Eve
Ainsi parlent les filles d'Eve." p.232

Marie Gevers nous emmène pour une promenade au fil de la mémoire où l'écriture se joue de ses miroitements (j'aime ce terme employé par Véronique Jago-Antoine qui commente en fin de livre), de ses errances - feintes par la plume pour mieux les révéler - et du jeu des langues. Le pacte d'écriture ouvre le chapitre 2 et le lecteur est ainsi prévenu des futures circonvolutions :

"Je me rappelle tout ce que j'entendais dire des amours d'Orpha et Louis, tout ce que j'observais moi-même. Mais je ne m'en souviens ni quand je le voudrais, ni comme je le voudrais.
C'est comme pour les morceaux de piano, dont on m'obligeait à étudier cent fois les passages difficiles. Il me suffit aujourd'hui d'en jouer les deux premières notes pour que mes doigts retrouvent le tout ; - à condition de ne pas penser à ce que je fais, à condition, que ma main seule travaille. [...]
Pour percevoir l'histoire d'Orpha et de Louis, il me faut la chercher, non directement dans le passé, mais parmi les choses d'alors, c'est-à-dire dans ma vie d'enfant au jardin de mon père, que Louis cultivait". p. 17

Merveilleuse illusion que celle de l'écriture spontanée au fil des souvenirs. Si merveilleuse illusion offerte au lecteur. De même la langue entre flamand et français est l'occasion de rêveries douces. La narratrice comprend le flamand mais ne l'écrit pas. Ses parents parlent et lui enseignent le français. Aussi, sa compréhension du flamand est lacunaire et poétique. Un mot inconnu trouve tout son sens dans l'esprit enfantin en une métaphore exactement précise.

"Cette dualité était favorable au rêve dont je nourrissais mon âme. Quand maman dit "Het keven is maar een bul" (le vrai mot est "bulk" mais elle patoisait). Het keven is maar een bul - La vie est une fumisterie - je traduisais bien correctement "la vie n'est qu'une...", mas le mot suivant m'échappait. Je le prenais dans le sens français : "la vie est une bulle". Le symbole de la vie m'est resté, pour longtemps, la bulle de savon irisée, merveilleuse, passagère, qui péri soudain : il faut se hâter de l'admirer et de jouir de sa belle couleur" p. 43-44

En y pensant, ce sont peut-être bien les mots aussi, les héros de ce roman. La passion poétique des mots. Profiter inlassablement de leurs belles couleurs et la littérature comme la tentative de garder à jamais leurs bulles irisées. Marie Gevers, malgré tout, ne fige pas. Tout, chez elle, semble couler comme l'eau - élément qui lui est si cher et que l'on retrouve partout dans son œuvre. Douce, douce Marie Gevers.

 

Merci à Charline pour ce cadeau lors de notre swap de Noël !

 

mois-belge-logo-khnopff.jpgParticipation pour le mois belge d'Anne et Mina, en ce jour consacré à un classique !

 

En lecture commune avec Mina