10/01/2012
Top Ten : Les livres qu'on retient de 2011 et ceux qu'on a envie de dévorer en 2012
Bon, je suis en gros décalage avec The Broke and the Bookish qui a publié ces Top Ten il y a quelques semaines + j'en fais deux en même temps, mais c'est pas grave.
Les 10 livres que je retiens de 2011 (et que je vous conseille avec force et yeux de biche)
Romans :
- La piste mongole de Christian Garcin. Enorme coup de coeur. Un univers atypique, bordélique, érudit et halluciné, une lecture voyage de folie servie par une plume d'une grande qualité. Pour vous dire, c'est le premier bouquin qui me vient à l'esprit lorsque je pense à mes lectures marquantes de 2011
- Le mur invisible de Marlen Haushofer. Une jeune femme se retrouve seule avec son chien, coupée du monde en pleine forêt autrichienne après l'apparition d'une étrange coupole invisible qui l'isole de tout. A l'extérieur, le monde s'est figé. C'est un peu une robinsonnade absurde et immobile où il s'agit de réapprendre à vivre et surtout de continuer à le faire. Un livre simple, sans grande pompe mais essentiel, délicat, inspiré et pertinent. Une merveilleuse découverte.
- Bliss de Shauna Cross. Oui, je sais, celui-là je le ressors tout le temps mais bon, un roman ado qui me scotche et m'enthousiasme, devrais-je dire qui me fait frétiller de plaisir, c'est suffisamment rare pour être noté plusieurs fois.
- Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer. L'humour et le langage maniés avec une intelligence et une inventivité vraiment ébouriffante. Qu'on aime ou qu'on déteste, on ne peut pas rester insensible au travail de cet auteur.
Poésie :
- Lettres en provenance de la nuit de Nelly Sachs. L'auteur lance des missives poétiques et embrûmées à sa mère disparue. On ressent à la fois le manque cruel et la lumière de la vie qui veut encore se battre.
- Le gardeur de troupeaux de Fernando Pessoa. Je souhaite en faire un billet depuis sa lecture mais parler de poésie m'est tellement difficile. La simplicité à l'état brut mâtinée de spirituel pas cucul. Une merveille.
- Onzains de la nuit et du désir de Jean-Yves Masson. Idem. Il faut que j'arrive à pondre ces billets, d'autant que la poésie est essentielle pour la santé, si si. Ici, il y a ce petit côté suranné de la forme qui titille. Puis le propos, à la fois terriblement d'actualité, bien plutôt intemporel, et le ton qui laisse deviner Rilke qui s'enlacent avec virtuosité. Les éditions du Cheyne sont les meilleurs en poésie de toutes façons :p
Romans graphiques :
L'année 2011 m'a enfin vue ouvrir un roman graphique. Il était temps. J'ai globalement bcp apprécié tout ce que j'ai lu mais je retiendrai essentiellement ces deux là :
- Pyongyang de Guy Delisle.
- Maus d'Art Spiegelman.
Tous deux pour leur propos, leur intelligence, leur cohérence dans le croquis d'instantanés. Deux très belles découvertes.
*
Les 10 livres que j'ai mis dans les starting blocks de 2012
Plus je lis, plus je me rends compte que j'ai d'impressionnantes lacunes en matière de classiques. Il y en a tellement aussi, franchement. Et puis certains font peur - vous avez vu les pavés? Bref, comme les années précédentes, je vais quand même tâcher cette année de soigner un peu mon inculture.
- Les Rougon-Macquart restants de Zola. Ceci dans le cadre du challenge très très privé que je me suis lancée il y a quelques temps afin d'en lire l'intégrale. En ce moment, je suis sur La Terre. Il ne m'en restera plus que 7 ensuite. Je tiens le bon bout (et sinon, je confirme que je ne suis pas masochiste, j'aime vraiment lire Zola :D)
- Au coeur des ténèbres de Conrad
- 1984 de George Orwell
- La chartreuse de Parme et Le rouge et le noir de Stendhal
- 100 ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez
- Les possédés de Dostoïevski (mais vu la taille du pavé, j'ai les miquettes)
- L'homme qui rit de Victor Hugo
- Un peu de Shakespeare. Je sais pas encore quoi, mais ce serait pas du luxe.
- Moby Dick de Melville
Et bien d'autres bouquins...
Et ben, y a du pain sur le planche !
09:04 Publié dans Top Ten | Lien permanent | Commentaires (3)
08/01/2012
Le croque-mort a la vie dure de Tim Cockey
(Oui, je pique pleins d'idées de lecture chez Manu en ce moment, j'avoue tout)
Le croque-mort a la vie dure de Tim Cockey, ed. Points, 2009, 402p.
Hitchcock Sewell a la trentaine bien sonnée et dirige une entreprise de pompes funèbres avec sa tante. En dehors des enterrements qui rythment joyeusement sa vie, il fait du théâtre amateur, remet le couvert à l'occasion avec son ex-femme nymphomane et farfelue, promène son chien et tombe par hasard sur une inconnue voulant organiser ses propres funérailles. Jusque là, rien que la normale. Sauf lorsqu'arrive sur sa table une belle endormie répondant au même nom que l'inconnue mais sans être elle. La question est, qui était-elle donc? Hitch va le savoir, pas tellement de suspens là-dessus, et ça va l'embarquer dans un embrouillamini chevaleresque et politique.
Le croque-mort a la vie dure est un polar rafraîchissant, pince-sans-rire, à l'humour continuel, bien choisi - clairement télévisuel : je suis d'accord avec toi, Manu, on aimerait en voir une adaptation version HBO! L'enquête est bien menée et se savoure avec plaisir même si elle ne fait pas montre d'une folle originalité. Je lui ferais même le petit reproche de connaître un démarrage trop long et une fin qui se déroule étonnamment trop vite mais ça encore, ça rend quelque chose de très télévisuel. Pour moi, l'intérêt réside essentiellements dans les personnages truculents, aux personnalités vives et bien marquées. Ce sont eux qui donnent envie de poursuivre la série. Et puis, ce cher croque-mort. On imagine ces professionnels comme d'austères dépressifs vieillis avant l'âge et voilà qu'on se trouve un fringant beau gars (spéciale dédicace) théâtreux, galant et buveur de bière. Les croque-morts en deviendraient presque craquants dis donc !
La suite au prochain numéro.
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09:04 Publié dans Polar | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : croque-mort, polar, enquête
05/01/2012
Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson
Le froid, la nature souveraine, la solitude des grands espaces. L'hiver passe et s'immisce l'air de rien dans mes lectures. Tout cela respire la poésie du silence et je trinque à ces esprits libres qui comprennent que la meilleure alternative à notre société, ce n'est pas l'opposition qui est encore une manière d'être avec, mais le retranchement à pas de velours - l'érémitisme, la simplicité, le resserrement.
Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, Gallimard, Coll. Blanche, 2011, 267p.
Prix Médicis Essai 2011
Sylvain Tesson, géographe de formation, tâte le terrain depuis de nombreuses années. Il s'est fait voyageur de l'est européen et de l'Asie, globe trotteur des immensités. Son truc à lui, c'est plutôt le mouvement, le dépassement, le physique en action et la tête en altitude. De chacun de ces périples, il a ramené récits, photos, ou aphorismes inspirés.
La route relatée dans le présent journal est pourtant immobile. Nourri d'un projet d'érémitisme où le temps ne serait plus une course folle mais un horizon à apprivoiser, il se retire en février 2010 dans une cabane de 9m² au bord du lac Baïkal. Le premier voisin se trouve à une vingtaine de kilomètres, le premier village à 6 jours de marche. Il a une réserve monumentale de pâtes, de tabasco, de vodka, de cigares, de livres et de carnets ; des raquettes, un kayak en kit, des vêtements polaires et deux chiens. Le reste, c'est le monde, c'est la vie. Une expérience de la simplicité et du détachement. De l'aridité où tout devient un luxe - cette fameuse dialectique du toujours plus et du juste ce qu'il faut. C'est un ascétisme joyeux, torché la plupart du temps, alternant la marche musclée et la contemplation et parfois, le retrait face à un ours sibérien, comme si de rien n'était. Il manque de mourir à deux trois moments et pourtant, tout cela parait l'évidence même. C'est la clé.
Bien que lauréat du prix Médicis Essai 2011, cet ouvrage est avant tout un journal de bord où le quotidien rythme chaque geste limité à l'essentiel et où la nature règne en déesse immanente absolue. Où se déroulent les saisons, les paysages, les animaux ; où les mésanges sont de véritables petites horloges forestières. Et puis, parmi toute cette opulence de vie, des réflexions, des pistes de cheminement, des illuminations. Ce n'est ni un ouvrage aride de philosophie, plein de démonstrations factices, ni un ouvrage spirituel tellement béat qu'il en friserait la débilisme neuronal. Ici, c'est une expérience, des sensations, du toucher, du bu et du frappé - une espèce de compréhension évidente de ce qui est par son expérience.
Il fait partie de ces livres où tout est juste et pertinent. Le genre de livre qu'on est immensément heureux d'avoir dans sa bibliothèque (merci ma Clara, tu es merveilleuse), qu'on relira, qu'on a envie d'offrir à tout le monde, qu'on va refiler à tour de bras et qu'on est pas près d'oublier.
Depuis mon modeste érémitisme creusois, j'en savoure les dernières pages. Exquis.
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Extraits :
"Je jouais au loup, à présent je fais l'ours. Je veux m'enraciner, devenir de la terre après avoir été du vent. J'étais enchaîné à l'obsession du mouvement, drogué d'espace. Je courais après le temps. Je croyais qu'il se cachait au fond des horizons. "Par la vigueur de l'usage, compenser la hâtiveté de son écoulement" (Montaigne, Essais, III), voilà comment je m'accommodais de sa fuite.
L'homme libre possède le temps. L'homme qui maîtrise l'espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien de fusil et, soudain, on ne sait même plus qu'il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont."
"Une rafale de vent pulse un courant glacial sous la porte. Isolé, l'ermite? Mais de quoi ? L'air se glisse à travers les poutres, le soleil inonde la table, l'eau s'étend à un jet de pierre, l'humus est là sous le plancher de bois, l'odeur des bois s'immisce par les fentes, la neige s'infiltre par les portes de la cabane, un insecte s'invite sur le parquet. En ville, une couche de goudron prémunit le pied de tout contact avec la terre, et entre les hommes se dressent des murs de pierre."
"La retraite est révolte. Gagner sa cabane, c'est disparaître des écrans de contrôle. L'ermite s'efface Il n'envoie plus de traces numériques, plus de signaux téléphoniques, plus d'impulsions bancaires. Il se défait de toute identité. Il pratique un hacking à l'envers, sort du grand jeu. Nul besoin d'ailleurs de gagner la forêt. L'ascétisme révolutionnaire se pratique en milieu urbain. La société de consommation offre le choix de s'y conformer. Il suffit d'un peu de discipline. Dans l'abondance, libre aux uns de vivre en poussah mais libre aux autres de jouer les moines et de vivre amaigris dans le murmure des livres. Ceux-ci recourent alors aux forêts intérieures sans quitter leur appartement."
Challenge de la rentrée littéraire 2011
09:00 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature française et francophone, Nature Writing/Récit de voyage, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : sibérie, forêt, érémitisme, retraite, solitude, hiver