Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/01/2016

Sur la plage de Chesil de Ian McEwan

Sur la plage de Chesil.jpg
Sur le plage de Chesil de Ian McEwan, Folio, 2010, 192p.

 

Tout comme Woolf faisait tenir une seule journée dans Mrs Dalloway, Ian McEwan projette son lecteur dans une seule soirée d'Edward et Florence - mais quelle soirée cruciale pour eux deux, déterminante pour leur avenir : celle de leur nuit de noces. En 1962, on est déjà loin de l'Angleterre victorienne corsetée mais pas encore exactement dans celle de la pop, du rock et de la liberté assumée. 1962, c'est l'année chafouine entre chien et loup où nos deux jeunes gens s'aiment, font des études d'Histoire et de musique, s'épanouissent dans de nombreuses amitiés mais se cherchent encore et ne savent pas parler. Les angoisses, les attirances et les dégoûts liés non seulement au mariage mais aussi à la sexualité et au corps sont tus savamment. Le silence pèse lourdement sur la table à laquelle dinent Edward et Florence tandis que la consommation du mariage les occupe pesamment et d'une manière toute opposée. Au fil du récit, se joue une partition inexorable qui semble les mener à un point de non-retour.

Point de twist, point de rebondissement, de cela on peut être sûr. Si j'ai ouvert cette chronique avec une référence à Woolf, c'est bel et bien à dessein : on retrouve dans ce roman de McEwan le même souci du détail, de l'intériorité des êtres et des consciences au détriment d'une trame narrative rythmée de pirouettes surprenantes. Il apparaît ici que les personnages recèlent suffisamment de relief, d'aspérités, de contradictions pour délivrer le récit d'une vie en l'espace de quelques heures. Ce qu'ils ne parviennent pas à se dire, à partager, Ian McEwan l'effeuille pour nous à travers le flux de ces consciences si riches et complexes. Que j'aime tout particulièrement cet exercice difficile de l'écrivain d'être le miroir des âmes !

Pourtant, Dieu sait que le sujet du couple est de ceux qui suscite un désintérêt immédiat chez la lectrice que je suis. J'avoue que la manière dont Simone gère son mariage avec Roger m'indiffère cordialement. Vous avez d'ailleurs dû remarquer que j'évite généralement soigneusement les lectures qui touchent de près ou de loin à cette question. Il y a fort à parier que, dans cette lignée, je n'aurais sans doute jamais lu Sur la plage de Chesil s'il ne m'avait été offert. J'ai ainsi pu constater, à ma grande joie, qu'il ne faut décidément jamais dire jamais et que l'on peut être ô combien surpris par un roman subtil et profondément intelligent quel qu'en soit le sujet de base. Ian McEwan livre un roman humain, d'une grande pudeur, où l'être et la nature s'avancent de commune mesure vers ces moments cruciaux qui nouent le fil de la vie. Un beau bout de chemin à parcourir, en somme, et qui prête à réflexion - car, que l'on s'identifie ou non aux personnages (et je vous souhaite franchement que ce ne soit pas le cas), il invite forcément à se poser la question de son rapport à soi et à l'autre.

Merci à ma Charline douce pour ce cadeau lors de notre swap traditionnel de Noël !

Lu en lecture commune avec Ellettres : allons voir son billet !

Challenge a year in England.jpgEt comme ça faisait longtemps (depuis septembre dernier tout de même !) voici une nouvelle lecture pour le Challenge A Year in England chez Titine

La 5ème pour être précise

23/01/2016

Rendez-vous poétique avec Hervé Piekarski et Nan Goldin

Hervé Piekarski fait partie de ces découvertes mi-figue mi-raisin, qu'il faut beaucoup lire et à qui on a beaucoup à reprocher, pour finir par tomber sur un texte saisissant. Il y a décidément chez lui quelque chose de superficiel, une sorte de posture poétique pénible où tout se doit d'être court, hâché. Et où, finalement, plus rien n'a de sens si ce n'est l'impression qu'il est fier d'avoir mis des points de partout,  comme si c'était là le pouvoir suprême du poète. A l'occasion, néanmoins, il se réveille et fait l'exacte inverse : adieu la ponctuation. Mais on est toujours dans un réflexe systématique. Rien de pire que les poètes pavloviens.

Mais qu'à cela ne tienne, je ne disserterais pas sur ses béances à l'endroit de la forme et de l'originalité. Il m'est tout de même arrivé de dénicher un morceau qui m'a plu, en marge de tous les autres du recueil Limitrophe chez Flammarion. Dans ce poème en prose, les aspérités du corps et du rapport à l'autre semblent prendre vie. Révéler autant la lumière que l'ombre qu'elles peuvent sécréter dans la confrontation à l'instant présent.

Le lisant, j'ai immédiatement repensé à l'un de mes amours artistiques de jeunesse, aussi incisive et impudique que délicate dans son approche du quotidien : Nan Goldin, photographe américaine, a exploré sans concession sa vie privée et celle des autres à travers l'objectif pour délivrer son opulent chef d'oeuvre, The Ballad of Sexual Dependancy. L'une des ses pièces maîtresses me semblent s'accorder particulièrement bien avec le texte d'Hervé Piekarski.

Belle journée hivernale à tous, toute de poésie et d'art vêtue.

 

Immense et déchu, par l'anticipation ratée de l'accident qui libère, cruellement comme on le sait du seul acte qu'on n'ait jamais accompli. Le torse, limite franchie et aussitôt restaurée, le trop étroit déploiement lumineux qu'accentue la violence de l'adoration. Ne rien dire. Se retenir de l'avancée qui instruit. Les mâchoires ensuite dans le tremblement de toute la face, dans l’œuvre accompli de la disparition de la face. Cela, dissonance et famine. L'annonce qui ne désigne rien. Le fil. La vitesse du fil à travers la compacité nouvelle. Ne rien mesurer. Se taire. Revêtir le chiffre.

in Limitrophe, Flammarion, 2005

 

Nan Goldin.jpg

18/01/2016

Nimona de Noelle Stevenson

Nimona.jpg
Nimona de Noelle Stevenson, Dargaud, 2015, 266p.

 

Envie d'images, d'univers imaginaires, d'aventures rocambolesques et amusantes : qu'à cela ne tienne, après les albums, je plonge dans les BD ! Celle-ci m'attendait l'autre matin sur la table de la bibliothèque, l'air de dire : "Viens donc t'amuser avec moi". Forcément, j'ai dit oui (je suis de bonne composition avec les livres qui m'appellent. Pas faible, de bonne composition - c'est tout à fait différent).

Nimona 1.jpg

Concrètement, Nimona, c'est un n'importe quoi franchement bien maîtrisé et étonnamment bien foutu. Au départ, en lecteur bien éduqué, on se dit qu'on a à faire à un récit médiéval-fantastique bien rôdé à base de gentil mais pas tant que ça, j'ai nommé l'Institut et son héraut Goldenloin, et d'un grand méchant mais pas tant que ça, Lord Ballister Blackheart. Inutile de préciser que Blackheart et Goldenloin ont un passif un peu lourd du type "je t'aime, moi non plus". Nimona débarque dans cette univers clivé en noir et blanc pour réclamer un emploi auprès de Blackheart. Son argument est imparable : elle est métamorphe. Son passeport d'embauche est une transformation en requin qui ne pouvait que convaincre. Et v'la, emballé, c'est pesé.

Nimona 2.jpg

A partir de là, tout part en vrille, en concombre, en patate douce - en somme, en fricassée d'à peu près tout ce qu'il y a de connu : le médiéval-fantastique se trouve affublé d'ordinateurs, de la télévision et d'inventions scientifiques farfelues, les ennemis de toujours se retrouvent pour boire une pinte et Nimona, qui n'a rien d'une douce orpheline, en profite pour mettre un bazar démentiel partout où elle se trouve. Elle est proprement incontrôlable. Ainsi, se succèdent des épisodes qui savent aussi bien mettre à mal les cases littéraires qu'à faire rire joyeusement. Y a pas à dire, un bon coup de pied dans la fourmilière le sourire au lèvres, c'est vivifiant. Si vous voulez vous détendre le seul neurone valide qui vous reste en fin de journée ou bien attaquer la semaine sous de bons auspices, c'est par ici !

Nimona 3.jpg

Nimona 4.jpg