26/03/2016
L'arabe du futur 2 de Riad Sattouf
L'arabe du futur 2 de Riad Sattouf, Allary Editions, 2015, 158p.
Après une prime enfance baladée entre deux pays, Riad Sattouf s'attèle dans ce second volume à décrire sa première année d'école. La famille est revenue habiter en Syrie, le pays du père, pour que ce dernier soit proche de sa famille et surtout de sa mère vieillissante. Ils logent dans un appartement miteux sans confort particulier - l'électroménager se trouve au marché noir à un prix exorbitant - et la villa luxueuse qu'envisage le père tient plus du fantasme que du véritable projet. Dans ce contexte, Riad découvre l'école, ce territoire sauvage où maîtresse et maître se succèdent dans une violence exacerbée, un culte de la religion et du président. Le mot d'ordre est indéniablement le formatage et les enfants de répéter, régulièrement, en balade ou au jeu, ces phrases toutes faites assénées par les grands comme des vérités prophétiques qui ne se discutent pas.
En parallèle, on retrouve la figure paternelle toujours aussi contradictoire, tantôt drôle, un peu libre et désinvolte, tantôt engluée jusqu'au cou dans des traditions d'un autre temps (il hésite tout de même à prévenir la police suite à un crime d'honneur). Étonnamment, j'ai bien plus peiné à croire en son rêve d'un arabe du futur éclairé dans ce tome que dans le précédent tant il revient moins, finalement, et tant son comportement théâtral, trop confiant, installé dans une suprématie molle et creuse, opposéE à l'inexistence de la mère sur le devant de la scène, m'a sauté aux yeux.
Honnêtement, je me suis même fréquemment ennuyée à la lecture de ses pages tandis que j'avais goûté franchement mon plaisir auparavant. Il m'a semblé qu'on tournait en rond, c'est à dire que le message n'évoluait pas, ne s'étoffait pas non plus, mais s'étirait indéfiniment sur un tome supplémentaire avec une certaine forme de complaisance qui, à force, m'a irritée. Évidemment, je persiste à reconnaître le talent de Riad Sattouf de croquer des instants de l'être pour lui donner des allures de figures emblématiques - et la figure de l'enseignant dans le contexte de la dictature syrienne est particulièrement prégnant, mais on pense aussi à tous les personnages secondaires du volume, du vendeur de matériel scolaire, au garde du corps du Général, en passant par la demi-sœur du père ou le petit garçon un peu fou dans le cimetière. Tous ces personnages composent indéniablement une fresque à la fois haute en couleurs et passablement désespérante. Il y a quelque chose de doux-amer dans les yeux et les paroles de tous.
Mais voilà, à force, on a bien compris le message et on est tenté de regarder par la fenêtre. La visée est bien moins claire dans ce tome-là, ou peut-être est-ce moi qui n'ai pas eu envie de prendre le recul nécessaire cette fois-ci pour lire avec un double regard. Toujours est-il que cet arabe du futur 2 ne m'a rien apporté de plus que le premier, j'ai même trouvé que la redondance devenait pénible. Ici, on s'écarte clairement du parallèle que j'avais fait avec Persepolis lors de ma lecture du premier tome. Ça manque d'une dynamique et d'une évolution nécessaires du/des personnages et ça tend parfois, malheureusement, à tomber dans l'anecdotique.
Merci à PriceMinister pour l'envoi dans le cadre de La BD fait son festival 2016
09:47 Publié dans BD / Comics / Mangas, Ecriture de soi, Littérature française et francophone, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (14)
23/03/2016
Harry Potter et la coupe de feu de J.K.Rowling
Harry Potter et la coupe de feu de J.K. Rowling, Folio Junior, 2001, 775p.
En finissant ce tome 4, je réalise que c'est bel et bien avec lui que la série prend un sacré virage ! Le livre précédent opérait clairement un glissement vers plus de subtilité et de psychologie. Le cadre narratif était toujours présent mais se faisait moins sentir de manière artificielle. Toutefois, tous les ingrédients des deux tomes précédents étaient toujours présents.
Et paf, premier chapitre de Harry Potter et la coupe de feu : changement de décor radical ! Point d'été chez les Dursley et de Harry ennuyé, énervé ou esseulé. Nous voilà dans la demeure ancestrale des Jedusor, en compagnie d'un Voldemort sans visage, affaibli - invisible au lecteur même - mais on ne peut plus vivant et terrifiant. Il n'en faut pas plus pour comprendre que la teneur de ce roman sera bien différent, la charnière se situant précisément là : un Voldemort non plus passé, fantomatique, spectre plus ou moins réel d'une histoire dramatique que Harry devait intégrer et accepter mais un Voldemort vivant, ourdissant dans l'ombre et regagnant petit à petit de la force. Dorénavant, Voldemort ne sera plus derrière Harry mais devant et le combat entre eux ne sera plus seulement psychologique. Forcément, avec un départ pareil, la lectrice que je suis a goûté son plaisir jusqu'à cet ultime affrontement qui est en fait le commencement d'une nouvelle dynamique.
Je suis par ailleurs toujours aussi admirative de la complexité du monde magique créé par J.K. Rowling qui sait à la fois se faire le miroir de notre propre monde pour susciter l'adhésion et l'identification (la coupe du monde de Quidditch par exemple) et se faire aussi farfelu que possible pour susciter le rêve et l'imagination (le coup du Portoloin, vraiment amusant !). Quel cocktail savoureux pour le jeune (et moins jeune) public. J'ai particulièrement aimé le clin d'oeil à Doctor Who avec la tente plus grande à l'intérieur (que j'ai doublement aimé en constatant que David Tennant tient un rôle dans la version ciné de ce tome-là) mais peut-être ai-je trop projeté mes propres fantasmes (?)
Bon, histoire de glisser un petit bémol dans tout cet enthousiasme, je ne vous cache pas que je me suis tout de même empêtrée dans certaines longueurs au cours de ce (très) long tome qui aurait indéniablement pu se faire plus concis. La tentation était sans doute forte du côté de l'auteure d'en donner aux fans pour leur argent et leur soif de magie avant le tome suivant mais... comme je n'en suis pas encore à ce point de frénésie, j'ai surtout trouvé de nombreux passages parfaitement inutiles. Ça m'a, à l'occasion, un peu gâché l'enthousiasme (il faut dire que, de manière générale, je ne suis pas cliente des gros pavés et encore moins des séries ; j'ai donc tendance à vite me lasser des circonvolutions à n'en plus finir ; ceci explique donc cela). Quand je vois les 1100 pages du livre suivant, j'avoue que je balise un peu à l'idée de trouver encore plus de ces longueurs superflues. J'espère qu'il n'en sera rien.
Un point ciné pour finir : Sur l'adaptation de ce tome-là, je me range indéniablement du côté des déçus et des outrés. Cet épisode est tronqué de façon bien dommageable, au point de perdre une partie de la saveur de l'univers au profit d'un grand spectacle à effets spéciaux pourri (je veux bien accepté l'élagage mais à quoi bon si c'est pour rajouter des scènes de poursuites à sensations ? Nul.), et une partie du suspens aussi. Je dois dire que ce côté-là, dans le roman, j'ai été bonne cliente : je n'avais pas vu venir l'identité du véritable coupable. J'avais tout misé comme une dinde sur Ludo Verpey, sans même voir que c'était précisément le but de l'auteure (je ferais vraiment une piteuse détective, autant que ce soit clair). Dans le film, on nous balance directement la tête du traitre. Ça gâche une bonne tranche du plaisir.
La suite au prochain numéro !
Challenge A Year in England chez Titine
9ème participation
Challenge un pavé par mois chez Bianca
Participation de mars 2016
18:08 Publié dans Aventure, Challenge, Littérature ado, Littérature anglophone, SF/Fantasy | Lien permanent | Commentaires (8)
14/03/2016
J'ai toujours ton coeur avec moi de Soffía Bjarnadóttir
J'ai toujours ton cœur avec moi de Soffía Bjarnadóttir, Zulma, 2016, 142p.
Mieux vaut ne pas craindre les personnages étranges car tout cela fourmille dans ce premier roman de Soffía Bjarnadóttir - A cet égard, la littérature islandaise n'a décidément rien à envier à l'exotisme japonais tant il décoiffe lui aussi, façon vent du nord à pleins poumons. Mais quelle joie de se prendre ces embruns dans les yeux !
Voyez vous-même : on pourrait commencer par un "Aujourd'hui, maman est morte", mais l'auteure lui préfère l'étonnant "Lorsque Siggy est morte, j'ai eu envie de réclamer ses yeux à l'entrepreneur des pompes funèbres" : vous avouerez qu'on est tout de suite plus dans le conte halluciné. Il faut dire que Siggy n'est pas exactement la mère présente, la mère aimante ; n'est pas exactement mère du tout. Elle s'apparente plus à une comète entre ciel et terre, entre gris clair et gris foncé, tantôt ahurie et ahurissante, enflammée et en dehors des heures. A n'en pas douter, Siggy était extraordinaire, dès lors qu'on n'attendait pas d'elle l'amour maternel.
"Qui était cette femme ? Ce n'était pas ma mère. Pourtant, elle m'avait mise au monde. Voilà pourquoi il m'arrive de l'appeler maman. Je la vénère et je la crains, comme le dieu Shiva qui façonne et défait toute chose. Dans mon souvenir, elle a passé sa vie à mourir, et je ne sais pas s'il s'agit de son histoire ou de la mienne." p. 78
Et puis la voilà morte, envolée. Hildur, la narratrice, retrouve les pas de cette mère qu'elle a fui il y a longtemps, lasse de trop mourir à ses côtés. Hildur elle-même est de ces êtres qui échappent et son parcours et son deuil se trouvent émailler de souvenirs impressionnants et de rencontres sur l'île de Flattey où Siggy lui a légué une petite maison jaune.
"Je ne suis qu'une spectatrice tourbillonnante aux yeux rouges, à la peau blanche et à l'âme bleu roche.
Dans un tel état de stupéfaction, j'aurais pu tuer un chaton ou torturer un chien. Comme si Siggy m'avait jeté un sort et que j'obéissais sans broncher.
Maman dans le cercueil, maman dans la baignoire, maman dans le lit, maman sur la plage, maman vivante, maman morte." p. 16
J'ai toujours ton coeur avec toi ne s'embarrasse d'aucune longueur, d'aucun développement : à quoi bon délayer ? Soffía Bjarnadóttir a pris le parti de délivrer les lourdes images d'une relation complexe qui se poursuit de mère en fils, d'âme en âme, à travers les âges et les pays et bouleverse tout bonnement. C'est fou comme la folie peut être incroyablement empathique - Et l'empathie pleine de folie, à l'occasion. On s'y perdrait presque, ce qui me semble exactement la bonne chose à faire. Que chaque cellule s'émeuve et ne pense plus.
18:44 Publié dans Littérature scandinave | Lien permanent | Commentaires (10)