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09/03/2016

Rendez-vous poétique avec Tomas Tranströmer et Nils-Udo

Tomas Tranströmer fait partie de ces poètes qui a déjà fait quelques apparitions sur ce blog, notamment lorsque je suivais assidument les jeudis poétiques d'Asphodèle. C'est ma récente lecture du dernier roman de Sylvie Germain, qui lui emprunte cet extrait en guise d'exergue : " La table branlante des hommes./Vois combien la nuit consume la voie lactée des âmes./Monte dans ton chariot de feu et quitte le pays !" qui m'a donné envie de feuilleter à nouveau ses textes.

C'est par ici que commence Baltiques, qui précipite l'homme, littéralement, dans la vie ; dans la nature ;  dans la poésie. L'éveil n'a rien d'un délire aérien, d'une chimère spirituel. C'est les deux pieds dans la terre qu'il se joue. Prenons le départ !

 

Prélude

 

L’éveil est un saut en parachute hors du rêve.
Libéré du tourbillon qui l’étouffe, le voyageur
tombe dans les zones vertes du matin.
Les objets s’enflamment. Il distingue – dans la position palpitante du pinson – les phares puissants d’un système radiculaire
qui tournoie dans les bas-fonds. Mais au-dessus de la terre
il y a – en un flux tropical – cette verdure aux
bras dressés, à l’écoute
des rythmes d’une pompe invisible. Et il
descend vers l’été, se laisse chuter
dans son cratère éblouissant, glisse
le long du puits d’ères vertes et humides
vibrant sous la turbine du soleil. Ainsi s’arrête
dans l’instant sa course verticale et les ailes se déploient
pour le repos d’un aigle pêcheur au-dessus des eaux qui filent.
Le son banni
d’une trompe de l’âge de bronze
reste accroché au-dessus de l’abîme.
Aux premières heures du jour, la conscience peut étreindre le monde
comme une main saisit une pierre chauffée par le soleil.
Le voyageur est sous l’arbre. Après
sa chute dans le tourbillon de la mort,
une grande lueur : va-t-elle s’étendre sur sa tête ?

 in Baltiques, Oeuvres complètes 1954 – 2004, traduit du suédois par Jacques Outin, éditions Gallimard (poésie), 2004

 

Nils-Udo.jpg

Clemson Clay Nest de Nils-Udo, 2005

05/03/2016

Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban de J.K.Rowling

Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban.jpg
Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban de J.K.Rowling, Folio Junior, 1999, 461p.

C'est avec une certaine délectation que j'ai entamé (et dévoré) ce troisième tome car je ne me rappelais rien de son propos. Contrairement aux deux premiers, je n'ai dû voir qu'une seule fois le film qui en a été tiré et, en dehors du fait que Gary Oldman joue le fameux Sirius Black, je n'avais plus aucun souvenir de quoique ce soit. Et mine de rien, c'est tout de même bien plus agréable de découvrir l'histoire en la lisant ; l'envie de tourner les pages avidement n'en est que décuplée.

On m'avait cependant avertie que la série prenait un tournant avec ce tome. Je ne savais pas exactement en quoi. Aussi m'attendais-je à un changement dans le déroulé de la narration, ce qui n'est pas le cas : les mêmes dates rythment toujours l'année scolaire. Rien de nouveau sous le soleil de ce côté-là (et je crois qu'il faut que je l'intègre définitivement puisqu'il reste encore 4 ans d'études à Harry !). Par contre, il m'a semblé que J.K.Rowling s'écartait doucement de l'intrigue (un peu trop) huilée des deux premières aventures pour amorcer plus de subtilités et de psychologie :

Dans Le prisonnier d'Azkaban, Harry Potter ne combat plus de gros monstres dont les apparitions progressives se font, mine de rien, assez grossières entre Halloween et les examens de fin d'année. Il est face à lui-même ; il grandit. L'auteure retranscrit avec une certaine pertinence la pleine adolescence avec un Harry aux réactions intempestives, passionnées (face à Rogue, face à l'évocation des prétendus méfaits de Sirius Black), égoïstes à l'occasion (en faisait fi des efforts déployés pour sa protection afin de partir en goguette au village d'à côté se pinter à la bièraubeurre aha) ou carrément futiles (quel beau "je t'aime, moi non plus" tout au long du récit entre Hermione, Ron et Harry, tout ça pour des broutilles ! Pas de doute : les personnages ont treize ans !).

Le professeur Lupin le mentionne subtilement lors du TP avec les épouvantards : Ici, Harry est confronté à la peur elle-même. Pendant un bon bout de temps, on ne sait pas vraiment qui est Sirius Black et on ne le voit apparaître physiquement qu'à la toute fin du roman. On comprend qu'il est surtout un prétexte à un cheminement que Harry doit mener seul face à lui-même, confronté aux réminiscences de la mort de ses parents. Celle-ci devient sensible au sens premier du terme. Dans le processus identitaire que j'avais soulevé à la fin du premier tome, il m'a semblé que J.K.Rowling développait ici une nouvelle étape : après la connaissance, il s'agit d'accepter, d'intégrer, de faire soi. La révélation de Sirius intervient finalement à un moment où Harry a déjà accepté de voir lucidement ce qu'il porte en lui. Il est plus fort d'avoir su regarder la peur en face pour s'en faire une force (psychanalyse de comptoir, bonsoir).

Étonnamment, alors même que l'intrigue semble moins riche d'évènements, les personnages gagnent, eux, en consistance, en profondeur et l'ensemble s'étoffe de réflexions universelles sur l'adolescence. Un fort beau tome, en somme.

La suite au prochain numéro !

 

Challenge a year in England.jpgChallenge A Year in England chez Titine

8ème participation

21/02/2016

Veracruz d'Olivier Rolin

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Veracruz d'Olivier Rolin, Verdier, 2016, 128p.

 

"Un jour de juin 1990, j'attendais au bar El Ideal, calle Morelos, une jeune chanteuse cubaine qui ne vint jamais..." p.9

 Nous y voilà, exactement, à Veracruz, en ce début de récit : chaleur moite, bar un poil glauque joliment nommé El Ideal (non sans humour), intellectuel esseulé qui se transforme en pilier de comptoir dans l'attente de LA femme qui ne vient pas. Aucun doute, je suis bel et bien dans l'ambiance cliché des petites villes sud-américaines telle que la littérature se plait à jouer avec - pour un peu, j'entendrais un brin de salsa suave et fatiguée par-dessus. Sauf que, quand un auteur me susurre de telles images à l'oreille, surtout un auteur de talent comme Rolin, réputé pour emmener promener son lecteur dans des lieux un peu fous, je me méfie. Généralement, il y a baleine sous gravillon.

Quatre gravillons pour être précise qui apparaissent par la magie des récits enchâssés. Quatre personnages qui suintent la peur, la couardise, la violence et la destruction. Quatre anges de mort, en sommes planqués dans leur univers de contrebande de cigares et qui s'observent, se jaugent, en attendant la déflagration qui viendra d'on ne sait où, mais qui viendra, c'est une certitude. Quatre histoires que notre intellectuel esseulé reçoit un beau matin, toujours accoudé à son comptoir, et qu'il pense être de la main de LA femme qui ne vient pas. Dans une frénésie un peu désespérée, il les lit encore et encore dans l'espoir d'y dénicher une trace de l'absente et nous les livre de même à l'examen, bruts de décoffrage. Dans ce jeu de piste littéraire, le lecteur oscille entre la curiosité un peu démente, l'intrigue, le délice du style et la nausée du propos. Un voyage qui ne manque pas de piquant et d'intérêt, déjà, même si l'on ne sait aucunement où il nous mène.

"Je conçus le plan désespéré de me rendre maître d’elle par les livres. Je choisissais les textes que j’allais lui lire avec le soin maniaque d’un magicien préparant un philtre, dosant et composant les effets attendus de crainte, de désir, de gaieté, de surprise, d’imaginations lascives ou terribles, suivant les mouvements que je voyais se faire dans son âme, en fonction aussi des moments du jour où elle m’appelait auprès d’elle, et par exemple je ne lisais pas les mêmes pages, ni ne les lisais de la même façon, selon que l’heure éclatante de la sieste glissait sur son corps allongé, à travers les persiennes, des lames obliques de lumière, tandis que le souffle des ventilateurs gonflait et soulevait légèrement, comme une matière vivante, frémissante, les feuilles dans leur coffret, ou que la fraîcheur de la nuit avait fait monter la brume de la mer et sortir des combles les grandes chauves-souris sacrées des Zapotèques." p. 35-36

Au fond, nous n'en saurons jamais rien. A moins, qu'au contraire, Olivier Rolin nous livre la clé de l'énigme dans les derniers chapitres. A chaque lecteur de voir puisque, Veracruz, est la plongée dans l'univers illusoire de la littérature, où rien n'est tangible, où examiner le réel à la recherche d'une vérité fictionnelle est un piège, où les mots ne sauraient se résoudre à un message pas plus qu'à une gigantesque vacuité. Peut-être la littérature est-elle un peu de tout cela, peut-être n'a-t-elle rien à voir. Nulle réponse n'est proposée comme un dogme. La littérature est un vaste jeu de piste dans lequel il faut nécessairement s'amuser et crapahuter encore et encore pour découvrir quelques mystères un brin magiques. Jeu d'auteur et jeu de lecteur, donc, réjouissant à souhait et déroutant comme on les aime. L'un et l'autre danse une salsa folle à l'issue de laquelle chacun tire sa révérence avec panache et les secrets restent entiers :

"Il n'y aura jamais de paix. Ne croyez pas un mot de ce que j'ai écrit.

Laissez-moi, maintenant." p.121

 

Merci à Delphine Olympe pour m'avoir donné l'envie de ce livre !