24/09/2012
C. de Tom McCarthy
C. de Tom McCarthy, ed. de L'olivier, 2012, 430p.
Il était une fois un titre sybillin qui m'interpella sur une table de bibliothèque. Au milieu de toutes les grosses affiches de la rentrée littéraire, ce titre-là me sembla facétieux, étrange : en bref, à part. La quatrième de couverture évoquait le nom du protagoniste : Carrefax ; la substance qu'il affectionne un peu trop : la cocaïne ; l'obsession du père : la communication. Ni une ni deux, je l'attaquai le soir même.
C. nous embarque aux côtés du Dr Learmont appelé à la propriété labyrinthique des Carrefax pour y accoucher la maîtresse des lieux. C'est Serge qui viendra au monde ce soir-là, après Sophie, son aînée de trois ans. Il grandit dans une famille à l'esprit ailleurs, chacun obnubilé par ses propres obsessions : La mère éthérée et sourde, passe son temps avec les vers à soie comme dans un monde flottant - à l'image du regard voilé de Serge. Le père ne jure que par la prévalence de la parole et s'acharne à enseigner l'art du langage à de jeunes sourds dans une école de sa création. En même temps, il bricole tout un tas d'inventions et de théorie sur la communication. Quant à Sophie, ce sont les sciences naturelles qui l'occuperont jours et nuit jusqu'à sa mort suspecte.
Et Serge, sur ce terrain, grandit cahin caha, non sans quelques petits soucis psychosomatiques qu'il résoudra miraculeusement en cure thermale.
Fort de cette renaissance inattendue, il s'engagera dans l'armée pendant la première guerre mondiale, cherchera la voix des morts, partira en Egypte pour une expédition de premier plan et finira on ne sait trop comment dans un délire hallucinatoire étourdissant.
Alors là, je suis franchement embêtée : vous savez, le genre d'embêtement qu'on ressent lorsqu'on sent bien qu'il y a quelque chose dans le bouquin, un bout de talent, une sacrée d'originalité mais qu'on reste en dehors tout le long des pages.
Je suis persuadée que C. est un ouvrage de qualité : Il présente un découpage énigmatique sous forme d'épisodes morcelés mais cache pourtant un livre et un personnage cohérents, complets et d'une belle profondeur ; une plume originale et de qualité ; de l'érudition ni vu ni connu j't'embrouille en distillant des morceaux choisis de grands auteurs (également appelé plagiat aha). Je pourrais citer encore d'autres arguments mais vous aurez saisi le principal : Tom McCarthy est un bon écrivain et son livre est de qualité.
Sauf que ces qualités me sont royalement passées au dessus des neurones et que je n'ai absolument pas été transportée par cette lecture. Strictement rien ne s'est passé dans les tripes : j'ai même failli arrêter à plusieurs reprises tant je m'ennuyais parfois. A la vérité, j'ai trouvé le livre parfaitement vain. Peut-être n'était-ce pas le moment de m'y plonger ? Peut-être y a-t-il un brin de prétention et d'artifice trop flagrants dans cette fameuse "originalité" ? Allez savoir. Toujours est-il que pour le coup, c'est une déception, moi qui attendait tant de cet "écrivain exceptionnel, agitateur littéraire".
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Challenge de la rentrée littéraire 2012
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08:58 Publié dans Challenge, Littérature anglophone | Lien permanent | Commentaires (1)
20/09/2012
La caverne des idées de José Carlos Somoza
La caverne des idées de José Carlos Somoza, ed. Actes Sud Babel, 2003, 346p.
Comme tout roman de Somoza -et celui-là étant le premier, il a ouvert le bal de la tradition-, l'histoire nous plonge dans une aventure sanglante et énigmatique : Tramaque, étudiant de l'Académie philosophique de Platon, est retrouvé mort à moitié dépecé dans Athènes. Parmi la foule indignée, un seul homme reste stoïque et concentré : Héraclès Pontor, le célèbre déchiffreur d'énigmes. Très rapidement, le lecteur comprend que ce n'est pas seulement pour son lien avec la mère du défunt que ce décès l'interpelle. C'est bien plutôt parce qu'il ne croit pas à l'attaque accidentelle de loups pendant une partie de chasse pour expliquer cette tragédie. C'est également pour cette raison que Diagoras, philosophe et mentor de Tramaque, engage Héraclès pour découvrir le fin mot de l'histoire - histoire qui va décidément rester sanglante et énigmatique jusqu'au bout.
Mais comme tout roman de Somoza, les choses ne s'arrêtent pas là. Il serait bien trop simple de réduire cet ouvrage à un "polar antique" - genre déjà suffisamment original en soi. L'auteur va plus loin et inclu en deuxième lecture l'omniprésence en bas de page d'un traducteur hypnotisé par son travail et progressivement plongé dans une aventure rocambolesque. Je ne vous mentirais pas : cela rend la lecture parfois fastidieuse : certaines notes sont particulièrement longues, il faut donc ensuite revenir en arrière pour reprendre le fil de l'enquête et ainsi de suite. MALGRE TOUT, que cela ne vous décourage pas ! Car comme tout roman de Somoza, je ne peux m'empêcher de refermer le livre en me disant que cet écrivain est fou d'imagination et de génie, que non seulement il parvient à créer des mondes surréalistes et uniques mais qu'en plus, il y distille une érudition étourdissante. Qui peut se targuer, en effet, d'avoir rédiger des livres qui soulèvent des questions cruciales concernant l'art, la philosophie, la poésie, Lovecraft et shakespeare, chaque fois avec brio ?
Ici, vous l'aurez deviné vu l'époque et les personnages, le propos touche à l'interaction, à la semblance et à la puissance de la fiction et de la pensée philosophique. Qui détient la vérité - qui, tout du moins, est le plus à même de s'en approcher ? La réponse de Somoza est sans appelle avec une chute magistrale à laquelle j'adhère parfaitement. Je vous laisserai seulement la découvrir et la savourer comme le mérite La caverne des idées, espèrant que ce petit flou final vous incite à courir dévorer l'ouvrage !
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"Lire n'est pas réfléchir seul,c'est dialoguer. Mais le dialogue de la lecture est un dialogue platonique: ton interlocuteur est une idée. Cependant,ce n'est pas une idée figée: en dialoguant avec elle,tu la modifies, tu la fais tienne,tu en viens à croire en son existence indépendante."
Challenge Mythologies du monde
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09:00 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature hispanique, Polar, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (2)
10/09/2012
Si c'est un homme de Primo Levi
Si c'est un homme de Primo Levi, 1947
Si je devais choisir un seul livre témoin des camps de concentrations, ce serait celui-là. Non que j'en ai lu beaucoup d'autres et non qu'ils ne m'aient pas bouleversée. Mais c'est ouvrage de Primo Levi est plus que bouleversant : il est essentiel.
Re-situons dans le contexte. Primo Levi à vingt-quatre ans lorsqu'il est déporté à la suite d'une arrestation inévitable. Il ironise lui-même sur le caractère passablement amateur et superficiel de son engagement dans un groupe de résistants sans moyen ni expérience. Lors de son arrestation, il pense à tort qu'il risque plus gros en se déclarant opposant politique que juif ; il opte donc pour la seconde alternative. Il est envoyé quelques jours plus tard, au tout début de l'année 1944, avec quatre-vingt seize autres juifs italiens au camp d'Auschwitz. Il y restera durant une année, échappant avec étonnement à l'hiver implaccable, la faim, les maladies et la chambre à gaz jusqu'à l'arrivée de l'armée russe en janvier 1945.
Le présent témoignage, dont Primo Levi commence la rédaction dès décembre 1945 - pour ne rien oublier, dans l'urgence nécessaire de dire, de faire connaître - relate cette année hors des hommes libres.
Je pourrais ergoter longtemps sur le caractère saississant, vibrant, terrible de ce récit. Nul ne peut ressortir de cette lecture sans la prégnante sensation d'avoir été assommé avec une poele en fonte. Mais au delà de ce retournement des tripes, il y a aussi et surtout l'ouverture à une série de questionnements essentiels. Car Primo Levi a choisi pour rédiger son ouvrage un ton volontairement neutre, ou disons au plus près de la neutralité - le plus possible dépourvu de pathos afin de laisser au lecteur la distance nécessaire pour apprécier le texte comme levier d'un raisonnement. Le point essentiel est là : Si c'est un homme n'est pas là pour faire pleurer dans les chaumières ou pour soulager son auteur - on comprend la futilité de supposer un tel objectif au bout d'une trentaine de pages tant rien ne pourrait soulager une telle expérience ; il est là pour faire en sorte qu'un deuxième Auschwitz n'existe jamais.
Et tous les questionnements, au fond, portent sur l'humanité.
Il est question d'humanité lorsqu'une mère, sachant qu'elle va à la mort, s'applique à nettoyer et à nourrir son enfant comme si rien n'allait changer.
Il est question d'humanité lorsqu'un civil est capable d'offrir une chemise à un détenu sans rien demander en échange, par bonté pure - et de lui rappeler en cela que malgré tout l'acharnement des nazis, il est encore un homme.
Il est question d'humanité lorsqu'on parvient à balayer la tentation de la haine après une telle expérience.
Il est aussi, malheureusement, question d'humanité lorsqu'on touche à la volonté abyssale de démolir un homme, méthodiquement, avec l'oeil froid ou lorsqu'on s'aperçoit que la brute engendre la brute et que le supplicié d'hier se défoule le lendemain sur ses subalternes sans aucune mauvaise conscience (et les exemples de ce triste état de fait dans l'Histoire, oserais-je dire encore aujourd'hui, sont nombreux).
Les exemples pourraient être énumérés à l'infini.
Enfin, il est encore question d'humanité lorsque tout le long, Primo Levi questionne le langage et affirme à plusieurs reprises combien nos mots d'hommes livres ne peuvent dire le vécu des camps. Au fond, transparait cette question : comment écrire, comment créer tout simplement après la seconde guerre mondiale. Question à laquelle j'éviterais, évidemment, de répondre une formule ridicule de philosophie de comptoir mais qui mérite néanmoins de trotter dans nos têtes de littéraires.
Après hésitation et relecture de ce bouquin, j'ai décidé de le faire étudier à ma classe de 3eme pro cette année. C'est un ouvrage clairement difficile, tant dans le fond que dans la forme et sans doute que pas mal d'entre eux, si ce n'est la totalité, n'en lirons même pas les vingt premières pages. Malgré tout, le simple fait de prendre le temps d'en parler en classe et de lancer quelques bribes de questions, pourquoi pas d'en faire matière à débat, leur allumera peut-être quelques lumières insoupçonnées. Il me semble que Si c'est un homme soulève trop de questions primordiales pour être balayé par la peur de la difficulté. Je croise les doigts pour que cette année me donne raison.
En attendant, si tu tombes sur ce modeste article et que tu n'as pas encore lu Si c'est un homme, un seul conseil : accroche-toi et lis.
Challenge Un classique par mois
Septembre 2012 bis (je rattrape Août comme ça !)
09:00 Publié dans Challenge, Coups de coeur, Littérature italienne, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (4)