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30/09/2017

Bleu passion de Victoria Strauss

Bleu passion .jpgBleu passion est un roman américain certes, et il me permet du coup d'ajouter une participation inespérée et in extremis au mois américain de Titine, mais c'est de l'Italie du XVème siècle dont il est question tout du long. 

Giulia a dix-sept ans et vit dans la riche demeure de son père, le comte Borromeo. Nous la découvrons aux premières pages du roman s'adonnant au dessin et savourant l'éclat du soleil sur les feuilles de pommier. En somme, la vie semble belle. Ce n'est pourtant que leurre : le comte Borromeo est décédé depuis plusieurs mois et Giulia est sa fille illégitime. Ces deux faits suffisent à rendre sa présence indésirable désormais dans la maison. La comtesse, sa belle-mère, décide alors d'honorer la dernière volonté de feu son mari avec malveillance. Puisqu'il a légué à Giulia une dot par testament,  elle sera en effet mariée mais pas à un vivant : elle est envoyée de force au couvent de Santa Marta de Padoue. Une belle façon d'accéder à la requête posthume du comte tout en se débarrassant de l'inopportune belle-fille. 

Sauf que Giulia n'a aucune vocation pour les ordres. Son rêve est d'avoir une famille et une maison à elle, d'avoir enfin cette indépendance qui lui a tant fait défaut jusqu'ici. La perspective de la vie religieuse la révulse : au lieu de gagner en liberté, elle plonge plus avant dans une servitude mortellement routinière. Elle n'a pourtant pas le choix de se soumettre à la volonté de la comtesse, et la voilà partie pour Padoue,  non sans avoir vendu un peu de sa foi à un sorcier dans l'espoir d'un talisman magique. 

A mesure que les jours passent entre les murs de Santa Marta et que Giulia espère celui qui lui offrira la liberté, elle reçoit le plus surprenant des cadeaux : quitter l'ennuyeux atelier de couture pour intégrer le seul et unique atelier féminin de peinture du pays. Soeur Humilità, la maîtresse de l'atelier, la recrute en découvrant l'un de ses dessins dans un coffre. Elle propose à Giulia de perfectionner sa technique de dessin, et de l'initier à toutes les arcanes de l'art pictural. En attendant de s'enfuir, c'est alors un monde merveilleux, et censément inaccessible à une femme dans cette Renaissance florissante mais misogyne, qui s'ouvre à notre héroïne éblouie. 

Pour devenir une artiste, il ne suffit pas de dessiner et de peindre. Avant de se servir de la couleur, il faut comprendre d'où elle vient et comment elle est fabriquée. Avant de travailler sur un panneau de bois ou sur un mur de plâtre, on doit savoir comment préparer le bois et comment on applique le plâtre. Avant de diriger un atelier, on doit connaître chaque aspect de son organisation, jusqu'au balayage des planchers. On doit pouvoir le faire soi-même avant de le faire faire par des apprenties comme nous, sinon on ne sera jamais véritablement maîtresse de notre art.

Malgré une couverture des plus cucul qui semble annoncer une mauvaise romance pour ado, il faut reconnaître que Bleu passion est plutôt un bon roman ! Giulia campe une jeune femme déterminée et talentueuse dans un siècle qui ne laisse aucune latitude à la femme, surtout si elle est pauvre, orpheline et illégitime. Quels que soient son intérêt pour l'astrologie ou sa passion le dessin, il ne saurait être question de les exploiter : les femmes sont bien trop notoirement inconstantes et frivoles pour être savantes ou artistes, sans parler de l'indécence de fréquenter librement des hommes - a fortiori s'ils faut les dessiner à demi-nus ! Il n'y a donc que peu de destins à la portée d'une femme : le mariage, la domesticité ou la vie religieuse.

Giulia, pourtant, ne veut se satisfaire d'une vie de recluse et souhaite ardemment réaliser son plus cher désir... Mais quel est-il exactement ? S'agit-il véritablement de se marier comme elle l'a toujours pensé ? Au-delà d'un certain regard sur l'existence de la femme durant la Renaissance, Bleu passion est aussi le récit du passage à l'âge adulte : il s'agit pour Giulia de savoir enfin ce qui compte et quelle direction elle souhaite donner à sa vie, dans les limites qui lui sont imparties. Il lui faut, en somme, apprendre à se connaître et à user de son libre-arbitre. 

Par ailleurs, il ne saurait être question de la Renaissance sans parler d'art et c'est en effet le feu qui sous-tend tout le roman. Sous l'égide de la maestra Humilità et de son bleu passion très convoité, Giulia brosse pour nous l'épopée fabuleuse de la création des plus belles icônes du siècle. Malgré certaines faiblesses, que je retrouve d'ailleurs souvent dans la littérature ado (notamment une intrigue parfois un peu téléphonée), Bleu passion est donc un roman intéressant à bien des égards et qui se lit sans bouder son plaisir. 

Bleu passion de Victoria Strauss, Albin michel, 2014, 380p. 

 

mois américain.jpgLe mois américain 2017 chez Titine

09/06/2017

Velvet de Mary Hooper

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Velvet de Mary Hooper, Les Grandes Personnes, 2012, 325p. 

 

En l'espace de deux lectures il y a trois ans, La messagère de l'au-delà puis Waterloo Necropolis pour ne pas les citer, je suis devenue une aficionada de Mary Hooper. Elle a le chic pour plonger les jeunes lecteurs dans des univers historiques passionnants et d'en proposer une vision sans idéal, sans le fard du fantasme. Car l'auteure ne ménage pas ses personnages, en effet ! Dans La messagère de l'au-delà, il était question d'infanticide et de peine de mort dans l'Angleterre de Cromwell ; dans Waterloo Necropolis, de la misère et de l'exploitation des enfants dans l'Angleterre victorienne. Bref, on a connu plus amusant. Pourtant, elle parvient toujours avec brio à contourner toutes les réticences que de tels sujets pourraient susciter pour livrer un roman aussi attachant qu'intéressant. 

C'est donc sans la moindre hésitation que j'ai entamé l'un des deux romans de cette auteure nouvellement arrivés dans ma PAL. Et avant même d'en dévoiler le contenu, il me faut souligner le travail toujours subtil et évocateur de Pierre Mornet qui semble être l'illustrateur attitré des couvertures de Mary Hooper aux éditions Les Grandes Personnes. Ce dessin-là ne prête-t-il pas au rêve, au mystère, à mille interrogations ? On se prend à frissonner, mais d'un frisson très doux, qu'on aimerait faire durer longtemps... 

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Mais il est temps de commencer notre livre ! Velvet, dont on découvrira progressivement une autre identité, est notre personnage principal. L'adolescente vit seule dans le Londres pauvre de 1900 et se débat dans l'atmosphère humide et étouffante d'une blanchisserie. Toutes ces vapeurs brûlantes lui provoquent de nombreux évanouissements et son emploi s'en trouve menacé : nombreuses sont les jeunes fille qui font la queue devant la boutique pour travailler un peu et gagner de quoi manger. Une employée qui ne suivrait pas le rythme effréné imposé par la direction se verrait donc renvoyer sans autre forme de procès et remplacée aussitôt. Velvet veut absolument éviter une telle situation. Elle tient plus que tout à ce travail, bien que difficile. Le perdre signifierait la misère, la rue et... vous connaissez le peu d'opportunités qui restent ensuite... Heureusement, Mrs Sloane, la responsable, nourrit une certaine affection pour Velvet. Elle lui trouve alors une place dans l'unité d'élite de la blanchisserie : celle où l'on s'occupe exclusivement des clients les plus fortunés. Il n'est plus question de laver les draps des hôpitaux mais les robes coûteuses des dames du monde. Velvet ne pouvait rêver mieux !

En apprenant les ficelles de ce nouveau poste, elle pioche la boîte à linge d'une certaine Madame Savoya. Ses vêtements chatoyants et originaux la séduisent, même s'ils sont difficiles à entretenir ! Lors d'une invitation que celle-ci lui fait pour fêter la nouvelle année, elle découvre que Madame Savoya est une célèbre médium ! Ce tout début du vingtième siècle voyait en effet fleurir nombre de médiums ; le commerce avec les âmes des défunts passionnait particulièrement la société de l'époque. On croise ainsi Arthur Conan Doyle dans ces réunions ! Velvet est évidemment fascinée, à la fois par Madame Savoya elle-même, pleine de prestance et de générosité, et par son travail ou, plus précisément, son don. C'est encore à la suite d'un événement qui aurait dû coûter sa place à Velvet que celle-ci gagne à nouveau la chance de sa vie : Madame Savoya lui propose de travailler pour elle et de devenir sa dame de compagnie/femme de chambre. Pour Velvet, c'est enfin l'aube d'une nouvelle ère, ainsi qu'il en va pour l'Angleterre qui, après le décès de la Reine Victoria, voit arriver une période plus fringante et réjouie sous la bannière d'Edouard VII. 

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Et hop, une séance de spiritisme à l'ancienne !

Je dois vous avouer tout de go que je suis beaucoup moins enthousiaste avec cet opus que je l'ai été avec les deux précédents. Le début attaquait pourtant très bien, plongeant le lecteur dans une réalité à nouveau très crue et très dure du Londres pauvre de Victoria (puisqu'elle est alors encore de ce monde). La solitude extrême, la nécessité d'accepter n'importe quel travail assommant et délétère pour manger un quignon de pain, et, bien sûr, la pureté et la force d'âme d'une héroïne jeune et livrée à elle-même. Tous les ingrédients sont au rendez-vous. Malheureusement, cela m'a semblé tourner un peu au vinaigre dès lors que Velvet atterrit chez Madame Savoya. Est-ce le changement d'atmosphère et/ou le fait que la crédulité à l'égard des médiums était grande à cette époque ? Toujours est-il que Velvet se montre incroyablement naïve - honnêtement, ça frise la stupidité à ce stade-là - uniquement occupée à s'émerveiller de son changement de condition et de la générosité sans faille de Madame Savoya. Même en m'efforçant de me départir de mes exigeances d'adulte, il me semble que l'intrigue de ce roman est beaucoup plus faible et cousue de fil blanc que les précédentes. On comprend immédiatement où veut en venir l'auteure ; et dès lors les nombreuses pages traînent en longueur. Le projet d'exposer les trucs et astuces des charlatans pour faire croire à un contact ou une apparition d'un défunt était évidemment passionnant mais je ne suis pas conquise par l'option choisie par Mary Hooper pour le faire. Il faudra donc aller bien loin à notre héroïne, prétexte du coup à découvrir une autre sordide réalité de la société de l'époque, ô combien glaçante, pour prendre enfin conscience du mensonge de sa maîtresse et tenter de rétablir la vérité. 

J'ai lu cependant plusieurs chroniques moins déçues que la mienne. Peut-être qu'à force de lire Mary Hooper, je deviens aussi plus exigeante et que mon regard, habituée à ses qualités, se tournent plus vers ses faiblesses ? Je saurais dire jusqu'où va ma subjectivité dans le présent avis mais, ce qui est sûr, c'est que Velvet n'est pas le meilleure que j'ai lu d'elle à ce jour ! 

 

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2ème lecture

LC consacrée à la littérature jeunesse

05/06/2017

La rivière à l'envers de Jean Claude Mourlevat

la rivière à l'envers,jean claude mourlevat,rivière qjar,tomek,hannah,roman d'aventures,aventures,immortalitéLa rivière à l'envers, c'est en fait deux romans - deux trajectoires de vie qui se croisent au bon moment pour ne plus se lâcher.

Il y a d'abord Tomek que l'on découvre seul et en proie à un ennui grandissant. Jeune orphelin, il vit et travaille dans l'épicerie de sa famille. Son quotidien se partage entre cette boutique, quelques balades et des visites à son grand-père de cœur, Icham, le sage du village. Un beau soir, une jeune fille dont on ignore pour l'instant le nom surgit et lui demande les choses les plus simples puis les plus farfelues. Qu'importe : Tomek a de tout dans son épicerie ! De tout... sauf ce dont a vraiment besoin sa visiteuse : de l'eau de la rivière Qjar, celle qui coule à l'envers, celle qui empêche de mourir. La jeune fille disparaît mais pas l'amour ni l'envie d'aventures qu'elle a fait naître en Tomek. Ni une ni deux, le voilà parti pour traverser des contrées aussi étonnantes que la forêt de l'oubli, le pays des parfumeurs ou l'île inexistante dans l'espoir de retrouver celle qui se prénomme Hannah et l'eau dont elle a tant besoin. 

Le second tome n'est pas une suite mais un parallèle : l'histoire d'Hannah cette fois. Elle a promis à Tomek de lui raconter ce qu'elle avait vécu de son côté, avant de le connaître puis avant de le retrouver. A son tour de parcourir des endroits dangereux et fascinants, de laisser un ami, un vieil homme mourir, de se marier, d'avoir des enfants, de redevenir la fille d'un couple aimant, d'apprendre à lire et à écrire à de jeunes enfants pleins de vie. Hannah semble avoir vécu mille vies en une durant cette année d'aventures ! 

La rivière à l'envers, c'est un bol d'air frais qui donne immanquablement le sourire. C'est fait pour un public assez jeune, à n'en pas douter : il faut de cette naïveté lumineuse pour s'attacher aux personnages et les suivre sans discuter dans des mondes étonnamment bons où rien ne peut vraiment arriver. Pour autant, il y a beaucoup à apprendre de ces épreuves qui sont autant de rites de passage vers la découverte de soi, de l'autre, de ses limites et de ses possibilités infinies - en d'autres termes, vers l'âge adulte. 
Pour ma part, les programmes du collège ayant changés, j'ai opté pour le faire lire et l'étudier en oeuvre intégrale avec mes 6e cette année - uniquement le tome 1. L'adhésion de la classe, exception faite de deux ou trois élèves, a été immédiate et presque unanime, ce qui est suffisamment rare pour être noté ! Plusieurs élèves se sont plongés, dans la foulée, dans le tome 2. C'est même l'un d'eux qui me l'a prêté pour que je puisse le lire à mon tour : n'est-ce pas la plus belle façon de boucler la boucle de l'enseignement ?! Les élèves ont donc été plutôt emballés et ont tiré de nombreux enseignements de leur lecture, pour mon plus grand plaisir :

"La rivière à l'envers nous apprend qu'une aventure ne change pas tout le temps le physique mais aussi le savoir." Aloïs

"Même si les gens sont morts, ils sont toujours là avec nous dans nos pensées." Loane

"J'en tirerais qu'il ne faut jamais abandonner, qu'on en ressort toujours grandi." Albin

"Il faut suivre ses rêves et avoir toujours du courage." Smahane

"Je tire comme enseignement qu'il faut toujours aller au bout de sa quête et ne jamais lâcher" Maëlle

"Si on veut faire quelque chose, il faut s'en donner les moyens en travaillant." Cerise

"L'enseignement que je tire de cette histoire est que la vie ne se résume pas juste à ce qu'il y a au bout de notre nez. [...] Il faut apprendre à aimer avant de voir mourir ceux qu'on aime et l'aventure permet de faire des rencontres inouïes. Il faut savoir profiter de la vie, il n'y a pas une deuxième chance." Erwann

Bref, c'est avec certitude que ce roman s'intégrera à nouveau dans ma progression de 6e l'an prochain.
Je remercie beaucoup Leiloona qui m'a donné l'inspiration de ce roman en début d'année scolaire. 

La rivière à l'envers 1 - Tomek de Jean-Claude Mourlevat, Pocket jeunesse, 2009, 192p.