Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2017

Rendez-vous poétique avec Harry Szpilmann et Pina Bausch


Liminaire l'ombre.jpgDire la poésie est déjà une gageure.
Mais lorsque cette poésie déroule comme vagues les élans fulgurants de ce qui, par essence, déborde, ne se contente pas et ne saurait être contenu, les mots par-dessus les mots deviennent carrément tarte à la crème. 

Je vais donc limiter les miens afin de ne pas trop donner dans la pâtisserie de supermarché. Seulement vous dire que j'ai littéralement reçu la marée par tous les pores à la lecture de ce dernier recueil de Szpilmann, par lequel je fais sa connaissance. Liminaire l'ombre ou la brèche d'embruns par laquelle or, lumière et puissance du vivant viennent fouetter les neurones apathiques du lecteur trop installé dans ses habitudes littéraires. Il rappelle à quel point création poétique est avant tout mouvement, respiration, insurrection, prolifération. C'est le serpent qui creuse, pénètre, enroule. 

Il fallait le talent de Szpilmann pour livrer cet instant-là de l'ouverture et y faire palpiter l'innommable, "cette pulsation native/anticipant une débauche de lumière" (p. 67). Aussi, je lui laisse place. Qu'il coule à flots aux regards des curieux. 

*

Dans l'épaisseur irrésolue
de vivre, 

avec des signes comme
des soufflets
                      - écrire

ou inciser l'opacité, 
y affiler un filet d'eau,
un filon d'air, 

une échancrure de transparence
où s'emploierait
le surcroît de l'errance. 
p. 20

 

*  

Ce que le jour, clair éclatement, accueille en ses évents : la chair des mots, volée incestueuse taillant en sa radiance sa teneur abrasive.
p. 48

 

Béance, effondrement du cours : veine étoilée propice
           à toute germination, à l'arche claire
                            des floraisons. 
p. 62

 

*

Qu'elle se fende, se fonde, et fasse entendre, depuis sa veine défaufilée jusqu'aux incalculables orbites de glace, le tournoiement du jour à l'épreuve du vertige qui le traverse, et que, fêlée, ouverte, offerte, elle fasse entendre au point d jour, les vibrations de verte ivresse à l'assaut de nos encres qui, tisseuses musicales, contraignent le chaos à l'éclosion d'un chant d'agaves et de pavots. 
p. 84

 

*

Dans l'illusions de sauge que l'on piétine, de pierres que l'on convoque, de niveaux que l'on tire comme des balises au corps du texte - dans la doublure de ce qui sans jamais se laisser prendre incessamment se donne, 
                                                                                                                                                        c'est elle
qui même nos lymphes à la lavande comme à l'éclair, c'est elle qui mène la bouche à la brûlure, c'est elle, entre nos mains, entre nos lèvres, qui entretient la manœuvre alchimique d'une langue qu'un pas de danse trahit avec éclat. 
p. 90

 



Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas dans les arts plastiques que j'ai trouvé écho à ce surgissement : tout, même vidéos ou installations, me paraissait, à force de recherche, d'une fadeur qui ne révélait pas l'énergie folle de la poésie de Szpilmann. Au final, il m'est apparu naturel de me tourner vers cet autre art dont elle est l'essence, avant même de re-feuilleter le recueil et constater que le poète l'avait lui-même évoquée : la danse. Et particulièrement celle de Pina Bausch qui m'inspire un mouvement de respiration primordial, un débordement de soi à l'autre. N'ayant su choisir, je vous laisse sur le court mais puissant Lilies of the valley et le plus long et foisonnant Rite of the Spring

Danser, écrire ou maintenir sa flamme à flot
            à la suture de toute lumière.
p. 74

 

Liminaire l'ombre de Harry Szpilmann, Le Taillis Pré, 2016, 96p. 


harry szpilmann,poésie,insurrection,respiration,brèche,lumière,écriture,écrire,mouvement,prolifération,liminaire l'ombre,pina bausch,danse,rite,printemps

02/01/2017

Rendez-vous poétique avec Michèle Finck et Masao Yamamoto

Balbuciendo.jpgMichèle Finck ne fait pas de cadeau avec Balbuciendo : l'être se retrouve entre la vie et la mort ; à cette croisée de chemins où il faut encore vivre quand la perte creuse un gouffre indicible ; où écrire encore cet indicible est peut-être ce qui sauve le mieux. Ainsi, la poésie de la perte - ici, du père - devient la poésie de l'entre-deux ; devient art poétique pour dire la nécessité de l'écrit, sa presque impossibilité et donc sa fulgurance, ses tâtonnements, ses balbutiements. Le miracle de son écorchure, la lumière de sa béance. 

Poème : crier
Seule pieds nus sur
La lame de l'adieu. (p. 18)

C'est ainsi que nous sommes, sur le pic abrupt d'entre deux années : on laisse mourir et dans ce vide s'immisce la perspective renouvelée du vivre.

Masao Yamamoto Nakazora 983 2004.jpg


J'ai longtemps laissé de côté Michèle Finck dans la perspective d'un rendez-vous poétique, ne sachant avec quel artiste faire dialoguer cette poésie sur le fil du rasoir. Et puis, voici qu'en ce tout début d'année où l'expression de l'entre-deux est parfaitement de mise, je découvre le photographe Masao Yamamoto, attaché à ces "petites choses" qu'il conçoit comme "les empreintes de [s]es pas, aussi chaotiques et inconsistants qu'[elle]s puissent être". Celui qui ne donne jamais ni titre ni date à ses photographies, pour mieux savourer une impermanence devenue immuable, a notamment créé une série intitulé Nakazora. Ce concept bouddhiste est celui de l'entre-deux : entre la terre et le ciel, si on le traduit littéralement, perpétuellement sur le fil du rasoir aussi, donc, bien que d'une manière beaucoup moins écorchée, plus évanescente. La photographie de Yamamoto délivre ses tâtonnements, ses pas comme des tentatives de réponses à ce que l'on perçoit avec une telle douceur "qu'ils paraissent des illusions". 

Entre la plaie devenue lumière et l'infime douceur des petites choses, puisse 2017 être placé sous des auspices aussi poétiques et faire art l'incertitude de l'avenir !  


Scriptorium

L'écriture : tour, terre, terrier, trou.
A-pic du cri dans l'oeil de la gorge. 
Les mots titubent atterrés de mémoire. 
Les souvenirs brûlent le vagin du visage. 
Une étoile anonyme essuie les larmes. 
Les onomatopées de l'os tournoient. 
Poème : scansion du noir, balbuciendo. (p. 63)

 

Masao Yamamoto  955.jpg

 

Poème : peau d'âme
Morceau de lave arraché
Au cri de quel Vésuve ? (p.68)

Masao Yamamoto.jpg

 

Poème : 
Fil de funambule tendu entre pierre tombale
Et perce-neige. (p. 72)

 

Balbuciendo de Michèle Finck, Arfuyen, 2012, 83p. 

Small Things in Silence de Masao Yamamoto, RM Editorial, 2014, 144p. 

31/12/2016

Au revoir à l'une, salut à l'autre*

Quelque chose la hèle, la halète. 
Elle est cette danseuse qui s'élance et déploie les bras, prend ses aises, à deux doigts de flamboyer, perd les bras et devient flamboiement, 
Elle part de là, le corps en insurrection.

Charline Lambert

Coquelicot soleil.jpgTiens, 2016

Nous y voilà : une année de plus. Autant 2015 fut très romanesque, autant 2016 fut éclectique - ce qui n'est pas pour me déplaire. Comme je l'avais souhaité en fin d'année dernière (les bonnes résolutions sont littéraires ou ne sont pas), j'ai renoué plus régulièrement avec ce genre passionnant qu'est la poésie ; j'ai également chroniqué un peu plus mes lectures graphiques - mais j'en lis moins qu'avant, indéniablement : la faute à de plus rares visites à la bibliothèque. Et puis, une grosse nouveauté est à noter : Un goût de plus en plus prononcé pour la littérature ado. L'animation du club lecture au collège n'y est sans doute pas pour rien. Je découvre avec plaisir une littérature que j'ai souvent boudée, pour des raisons plus ou moins bonnes et surtout par envie de lire tout autre chose - chaque chose en son temps, disait ma grand-mère. Le temps est enfin venu et c'est plutôt réjouissant de découvrir que les années littéraires se suivent et ne se ressemblent pas. 

En vrac, je garderai de cette année six romans très différents, tous très puissants. 

Trois textes de guerre et trois textes de femmes
qui témoignent de temps où l'étau se resserre et remet en cause la question même d'humanité : 
Valentine Goby nous emmène au Kinderzimmer suivre Mila dans les camps de concentration traîner son désespoir mêlé d'envie de vivre : un texte violent, tellement vibrant, sensible et subtil.
Julie Otsuka raconte l'exil des japonaises vers la terre promise d'Amérique au début du XXème siècle. Certaines n'avaient jamais vu la mer scande la voie de femmes oubliées avec une justesse étonnante et originale. 
Yoko Ogawa joue avec l'uchronie dans Cristallisation secrète  et présente le monde terrifiant d'une dictature tout en douceur. Une écriture blanche au service d'un avenir qui s'assombrit lentement mais sûrement - avant de disparaître. 

 

Bilan 2016 1.jpg

Et puis trois textes aux relations complexes et foisonnantes - rien à voir dans le style, dans l'époque, dans la langue d'écriture mais ces trois romans ont un commun intérêt pour les liens qui se tissent entre les êtres au cours d'une vie pleine de rebondissements, d'attachements et de déchirements. 
L'immense et indépassable Gabriel Garcia Marquez raconte avec son réalisme si merveilleux la destinée de six générations de Buendia dans 100 ans de solitude. C'est indescriptible, c'est follement riche et ça n'a pas volé son prix Nobel. 
Le tout aussi immense et tout aussi nobélisé Hermann Hesse (il n'y a pas de secret quand même) développe une amitié philosophique tortueuse et sanguine entre Demian et Emile Sinclair qui donne furieusement envie de relire Nietzsche. 
Et entre ces deux monstres sacrés, Elena Ferrante nous prend par la main, et l'on voyage dans le Naples des années 50 avec Lila, L'amie prodigieuse, et Lenù. (Vivement le tome 2 en poche, au passage, rien que pour le plaisir). 

Bilan 2016 2.jpg

Dans la rubrique de cette littérature ado pour laquelle je deviens de plus en plus friande, je note particulièrement la lecture - enfin ! - de deux séries bien connues de tout le monde depuis l'an 1000 avec Jésus-Christ (je suis large) : La saga Harry Potter qu'on ne présente plus (zéro petit résumé pour la peine, faut pas pousser mémé), que j'ai beaucoup appréciée évidemment, avec une mention spéciale pour le tome 6, - Harry Potter et le prince de sang mêlé ,  qui m'a particulièrement touchée et enthousiasmée ; et la saga Enola Holmes  dont je n'ai chroniqué que le premier tome pour l'heure mais les autres suivants prochainement. 

Bilan 2016 3.jpg


Je termine avec un vrac, mélange de poésie, nouvelles et autobiographie, qui rassemble étonnamment trois auteures (encore des femmes, dis donc !) et quatre textes qui me tiennent particulièrement à coeur. Last but not least, comme on dit ! 
Une année littéraire ne serait pas totalement passionnante s'il n'y avait pas de vrais morceaux de Virginia Woolf dedans (Woolf un jour, Woolf toujours !). Ce sont les nouvelles de La fascination de l'étang que j'ai donc découvertes en juin dernier et, sans surprise, ce fut l'éblouissement à chaque page. Mon Dieu, mais quel génie !
Il était temps, d'ailleurs, que je me frotte à d'autres génies, et j'ai donc vaillamment empoigné à l'automne les Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, et quelle rencontre ! Une nouvelle étoile brille dans mon panthéon d'étoiles littéraires féminines. 
Et, re-last but not least, dans une version étoilée un peu plus jeune et surtout un peu plus vivante, 2016 aura été marqué par la poésie tellurique, respirante et iodée de Charline Lambert et de ses deux recueils, Chanvre et lierre et Sous dialyses

Bilan 2016 4.jpg

 

Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s’ils avaient été déracinés. Même s’ils ont l’air d’avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le cœur en garde quelque chose. Un tremblement, une larme.

Yoko Ogawa

 

 

Salut 2017 ! Couleurs végétales.jpg

Pour l'année à venir, je n'ai pas d'envie(s) particulière(s) pour une fois. Je n'ai pas tellement envie de "plus" ou "d'autres choses" : continuer, poursuivre et découvrir me semblent déjà un beau programme. Je me dis que lorsqu'on arrive à 5 ans et demi de blog, c'est d'ailleurs déjà pas si mal. Entretenir la flamme est en soi un travail - et surtout un plaisir de chaque instant.

Je vous souhaite à tous une merveilleuse année 2017 !
Qu'elle vous soit pleine de passion et de bons mots, et que le goût de cheminer sur un fil invisible soit perpétuellement renouvelé. 

 

Je veux la vie, toute la vie. Je me sens curieuse, avide de brûler plus ardemment que toute autre, fût-ce à n'importe quelle flamme.

Simone de Beauvoir

 

Source image 1 
Source image 2