29/07/2013
Vie et mort d'un étang de Marie Gevers
Vie et mort d'un étang de Marie Gevers, ed. Luc Pire, coll. Espace Nord, 2009 [1966], 281p.
"S'endormir par la pluie tranquille un soir où naît le printemps, c'est déjà une bien belle fête. Mais que, pendant toute l'enfance, la fenêtre, au large ouverte, donne sur une eau paisible, qu'il y ait des arbres proches et que nul réverbère ne trouble l'alliance nocturne de la pluie et du monde végétal, ce sera là un grand privilège, dont la sensibilité, pour toujours, restera imprégnée."
Ouvrir et se fondre dans Vie et mort d'un étang, c'est pénétrer dans l'univers sacré de la mémoire, de l'enfance, de l'amour des vivants et des arbres. Chaque mot est un pas vers le centre de l'être. Chaque mot quête les petits bonheurs surannés de l'existence, se plonge dans la contemplation et le miroitement de l'eau pour continuer à vivre au présent. Et c'est un enchantement pur.
Mais qui est donc Marie Gevers, allez-vous peut-être vous demander ? Pour ne rien vous cacher, je n'en saurais pas plus que vous si je n'avais quelque amie belge aux goûts affûtés pour réparer cette injustice française qui consiste à reléguer souvent au second plan (si ce n'est au troisième ou au quatrième) les lettres de nos amis francophones. C'est un grand tort car nous méconnaissons, du coup, une foule d'auteurs talentueux et envoûtants.
Ainsi donc, Marie Gevers est une auteure belge du XXeme siècle, première femme élue en 1938 à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Elle vécut toute sa vie dans la demeure familiale de Missembourg qui fut le décor de nombreux de ses écrits (poésie et prose), tous imprégnés de nature.
La demeure de Missembourg
Dans Vie et mort d'un étang, Marie Gevers rassemble trois textes de tailles inégales qui jouent tous sur le motif de la mémoire et du temps. L'étang, tout d'abord, brode les souvenirs d'enfance au fil de l'eau. L'auteur se souvient de cette époque charnière - la fin du XIXe, l'éclosion du XXeme - où l'étang représentait le coeur même de la vie de la demeure. Tous les souvenirs ramènent à ce point focal, berceau de vie, ventre maternel qui apaise et qui semble devoir durer toujours.
La cave se joue sur un autre rythme : Marie Gevers se cache avec son mari dans la cave de Missembourg durant la fin de la seconde guerre mondiale. Les bombes font rage, la maison est ouverte aux vents. L'auteure a eu la douleur de perdre son fils aîné quelques mois plus tôt dans un bombardement. Elle entame donc un journal, à la lumière faible d'une petite lampe, dans le soir de cette cave pour continuer à vivre. Elle y relate à petites touches son quotidien et ses douleurs. Mais ce journal est surtout l'occasion de convoquer à nouveau de chères images, de chers souvenirs qui seront son soutien durant cette dure épreuve.
Enfin, le dernier texte très court intitulée La chambre retrouvée fait le point sur cet épisode quinze ans après.
"Nous sommes dans la cave, exclus du mouvement et de la lumière, il est bon qu'une pendule stricte nous y astreigne aux mesures arbitraires des hommes, mais il est bon aussi que, là où nous agissons, là où nous nous nourrissons, la vieille horloge nous rappelle que l'heure n'est pas plus absolure que les idées courantes. Il s'agit de ne pas les prendre pour des réalités... Idées, usages, opinions sont comme les heures, les semaines et les mois, des créations humaines... Dès lors, reconnaissants cela, nous sommes encore libres, les ayant jugés, de les admettre et de leur donner des visages de lumière ou de constellations."
Vous l'aurez compris à la lecture de ce court résumé, Vie et mort d'un étang n'est pas un roman et ne peut se lire comme tel. Il ne s'agit pas non plus d'autobiographie au sens strict, ni de mémoires, ni vraiment d'un journal non plus s'offrant comme témoignage. Toutes les métaphores qui me viennent à l'esprit pour évoquer ce doux ouvrage tiennent de la broderie ou de la couture.
J'étais assez dubitative lorsque ma chère Aurore m'a offert ce livre. Je ne savais absolument pas à quoi m'attendre et une petite part de moi, je l'avoue, craignait un peu de tomber dans cette fameuse "écriture de terroir" dont je ne raffole pas du tout.
Et puis, dès les premières pages, la beauté de la langue m'a emportée ! Quelle délicatesse et quelle souffle poétique dans cette langue qui vise la simplicité cristalline de l'eau ! J'ai tout simplement été époustouflée quand j'ai lu par la suite que Marie Gevers n'a pas été scolarisée...
J'imagine bien qu'il faut avoir une certaine affinité avec les envolées bucoliques et les volutes de la mémoire pour que ce livre soit un coup de coeur - ce qui est mon cas, en l'occurrence. Mais pour qui aime la belle langue savamment maniée, ce livre ne peut que plaire. C'est indéniablement à tort que Marie Gevers passe peu à peu dans l'oubli surtout en France (très peu de ses ouvrages sont aujourd'hui réédités, quel dommage!), et je vous encourage vivement à le contrer en goûtant à sa beauté simple. Vous pourrez trouver plusieurs titres d'occasion sur la toile et les éditions Luc Pire réédite encore quelques titres.
Merci Aurore* pour cette délicieuse découverte !
08:54 Publié dans Coups de coeur, Littérature française et francophone, Poésie | Lien permanent | Commentaires (4)
24/07/2013
Challenge Amérindiens : Bilan du 1er trimestre !
Comme il est de coutume sur la blogo, je vous propose un premier bilan du challenge amérindien lancé fin avril.
Depuis lors, nous sommes 15 lectrices inscrites et je vous remercie de votre participation à cette thématique qui me tient particulièrement à coeur et que la littérature explore avec une grande richesse.
Mais sans plus de blah blah, voici les lectures proposées ces trois derniers mois :
Coccinelle nous parle d'Une moitié de Wasicun de Jean-François Chabas, un roman jeunesse paru tout récemment (en mai 2013) écrit par un français. Il raconte l'histoire d'un jeune sang-mêlé élevé chez les Blancs qui, à travers une énigme policière, découvrira la culture Sioux dont il est aussi issu.
Choco nous propose le tome 1 d'une série BD intitulé Carlisle de Seigneuret et Chevret Deighton qui emmène en Pennyslavie au tout début du XXeme et traite de cette épineuse question de l'éducation des indiens dont le credo était "tuer le sauvage pour sauver l'homme"... Une BD qui permet de découvrir une réalité historique dérangeante et trop méconnue.
Sharon nous fait découvrir deux polars teintés de culture amérindienne : Seuls les morts ne rêvent pas de Vidar Sundstol et La danse des chiens tonnerre de Kirk Mitchell et j'avoue que le mélange des genres a l'air très alléchant !
Canel nous propose trois découverte très différentes : Du sang dans les plumes de Joel Williams est le témoignage écrit en prison de sa jeunesse douloureuse de métis amérindien battu par son père. Cochon rouge d'Erik L'homme et Laurent Corvaisier développe les témoignages fictifs de colons et amérindiens au XIXe pour faire comprendre la colonisation aux plus jeunes. Enfin, le classique La perle de Steinbeck tire son récit d'un conte traditionnel mexicain et questionne la cupidité et la corruption.
Lucie, notre représentante de l'autre côté de l'Atlantique (héhé) chronique L'écorce de nos silences sur 3 courtes pièces autochtones et le roman contemporain de la jeune auteur innue Naomi Fontaine intitulé Kuessipan.
Enfin, nous sommes deux à vous avoir chroniqué l'excellent Chemin des âmes de Joseph Boyden
qui tresse habilement récit de combats de la 1ere guerre mondiale du côté canadien et histoire des indiens Crees. Par ici l'article de Lilly et par ici, le mien.
Je vous ai également parlé de l'avènement progressif du fusil dans la vie des Lakotas à la fin du XVIIIe à travers L'hiver du fer sacré de Joseph Marshal III.
J'espère que ces quelques liens vous inspireront et, en attendant le prochain bilan dans 3 mois, je vous souhaite d'excellentes lectures amérindiennes !
J'en profite pour vous faire passer le lien d'une série documentaire sur l'histoire de la colonisation américaine et le génocide américain. On va pas se le cacher : ça n'est pas ce qu'il y a de plus réjouissant mais c'est extrêment bien fait et surtout nécessaire. Voici la première vidéo ; toutes les autres sont également disponibles sur youtube.
25/05/2013
La voie des rêves¨¨**
"Il faut une belle confiance pour délaisser le monde où l'on parle, pour explorer le dedans de la nuit. Il faut acquiescer aux images extravagantes, aux songes révolus, aux visages incertains. C'est peu, de s'allonger pour dormir. Le difficile est moins de trancher les amarres, de hisser la voile, que de se laisser conduire vers le noyau transparent des nuits. Je ne gouverne pas le vaisseau, je suis aimantée vers une étoile rare, pressentie des oiseaux. Je m'endors, je quitte la terre crédible. Le silence me garde. Je vogue vers des saisons non encore dépliées, loin du monde où on parle, où les mots sont des cuirasses. Je m'en vais cueillir quelques parcelles d'or, guetter les mots qui bourdonnent dans le taillis."
Extrait de Du sommeil et autres joies déraisonnables de Jacqueline Kelen, ed. Albin Michel, coll. Spiritualités, 2006
La jeune fille de Gustav Klimt
14:24 Publié dans Divers, Littérature française et francophone, Poésie, Réflexion | Lien permanent | Commentaires (2)