05/09/2013
La Transcendante de Patricia Reznikov
La Transcendante de Patricia Reznikov, ed. Albin Michel, Août 2013, 276p.
La transcendante est cette route intérieure qui mène à l'accomplissement - celle que l'on parcourt souvent dans la nuit, à tâtons et dans l'espoir. A la suite de l'incendie de son appartement, Pauline s'engage sur ce chemin en direction des États-Unis. Dans cet incendie, elle a perdu son frère, sa joie de vivre, ses repères et toute sa bibliothèque à l'exception de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Interpelée par ce seul survivant, elle décide d'en suivre les traces près de Boston. Tout d'abord seule et un brin paumée, elle fait la rencontre de Georgia, une fantasque ancienne professeure de littérature. Avec elle, elle retrace pas à pas le vie de Hawthorne, tente de revivre et découvre ce lien ténu qui la lie à La Lettre écarlate.
Telle que se présente cette nouvelle lecture de la rentrée littéraire, tout y est pour me séduire. Je trouve l'idée de mêler cheminement intérieur et quête littéraire particulièrement passionnante. Malheureusement, le roman n'a pas du tout fonctionné sur moi. Je m'attendais à un récit profond, intense, érudit (oui, tout de même un peu lorsqu'on se place sous la tutelle de Hawthorne et de la littérature pour cheminer) et je n'ai trouvé qu'un guide de voyage dialogué entre deux personnages plutôt creux. Pauline est vidée après son expérience dévastatrice de l'incendie, certes. Mais elle apparaît carrément ici sans consistance : elle se laisse mener par l'enthousiasme de son improbable acolyte et ses réflexions sur la littérature sont inexistantes. Elle sait très bien citer, paraphraser et résumer (en 10 pages, accrochez-vous!) La Lettre - ce qui, somme toute, ne fait que grossir la masse des pages, ne représente aucun intérêt, et ne fait que passer l'envie de lire l’œuvre originale puisqu'elle nous a déjà tout raconter par le menu. C'est à peu près tout ce que vous trouverez sur la littérature. A noter que vous trouverez la même profondeur de champ concernant la philosophie à l'entrée d'un sympathique professeur-corbeau dans les 70 dernières pages. Ce qu'il dit n'est pas inintéressant mais cela souffre un peu trop de lieux communs et d'une superficialité criante. Il parviendra à redonner goût et motivation à Pauline mais d'une manière qui ressemble trop à une thérapie pour les nuls. Quant à Georgia, je crois qu'elle tient le haut du pompon. On apprend à la fin le pourquoi de ses déguisements sans queue ni tête mais.... tout cela est trop simple, trop gros, trop moralisant, trop ras la pelouse. Si je devais résumer mon impression sur ce livre, je dirais qu'il s'est donné de grands objectifs passionnants et qu'il n'a pas été à la hauteur du tout.
J'ai repensé à Gracq, découvert récemment, au cours de ma lecture. Il s'était lancé le projet progressif de déconstruire la récit pour aboutir à un travail littéraire poétique soutenu par la virtuosité de la langue (et je n'irai pas plus loin car je ne suis pas une grande connaisseuse de Gracq). Dans un roman comme celui de Patricia Reznikov qui s'envisageait comme une quête intérieure au gré des Lettres, c'est aussi le domaine qui pêche : la langue, la poésie, le style. Quand il ne se passe "rien" a priori, tout doit être dans les mots. Mais le style est inexistant (encore une chose inexistante, tiens.). A la décharge de l'auteur, celle-ci est américaine et l'exercice d'écrire dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle est audacieux et périlleux. A ce niveau là, il est indéniable qu'elle écrit le français comme peu de français de souche sauraient le faire. Mais la littérature va au delà de bien écrire une langue. C'est savoir en créer une partition, une incantation, un chant puissant pour dire l'indicible et la profondeur d'une pensée à la fois unique et universelle. Aucun point ne m'a paru rempli dans La Transcendante.
Je pourrais soulever encore un certain nombre de déceptions (notamment les dialogues insipides mi-anglais, mi-traduits en français derrière : sérieusement?!! Comment un truc pareil a pu paraître une bonne idée?!) mais je pense que vous avez saisi le principe. J'aurai préféré vous offrir un deuxième coup de coeur ; nous en sommes malheureusement loin. Néanmoins, aux vues de ce que j'ai lu sur la blogo, ce roman a recueilli des avis contrastés : certains déçus comme moi, d'autres séduits par une sérénité apaisante. Peut-être fonctionnera-t-il donc mieux sur vous, qui sait !
Je remercie encore beaucoup les éditions Albin Michel pour ce partenariat !
Challenge de la rentrée littéraire chez Hérisson
2/6
09:00 Publié dans Challenge, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (8)
02/09/2013
Littérature amérindienne du Québec
Littérature amérindienne du Québec - écrits de langue française, textes assemblés et commentés par Maurizio Gatti, ed. Hurtubise, 2008 / Biblio. Québécoise, 2009, 307p.
Avec septembre et les feuilles rousses arrive le mois québécois qui nous trotte dans la tête depuis le début de l'été ! Comme promis, j'en profiterai pour vous faire découvrir quelques auteurs amérindiens francophones (mais peut-être moins que prévu car ils sont parfois durs à trouver, les coquinous. Je vais quand même faire mon possible). Dans cette optique, quoi de mieux pour débuter le voyage qu'une anthologie de littérature amérindienne du Québec composée par un éminent chercheur dans le domaine ?
Bon alors, dit comme ça, je vois d'ici vos chaussettes trembler à la perspective de découvrir un pavé universitaire pompeux et un poil chiant. Mais rien de tout cela. Vous pensez bien que les trucs ennuyeux, je les garde pour moi. Ici, Maurizio Gatti réunit par genres littéraires plus de 150 textes de langue française écrits par des auteurs amérindiens. On retrouve ainsi contes et légendes, poèmes, extraits de romans ou de pièces de théâtre etc., toujours précédés d'une petite notice biographique de l'auteur et d'un résumé de l'oeuvre. Pour en arriver à cette compilation, première du genre, Gatti a parcouru le Québec en long et en large à la rencontre d'auteurs, parfois édités, parfois inédits.
Dans l'introduction, l'auteur explicite la notion primordiale d'écrivain amérindien. Il apparait pour sa part, et je me rallie plutôt à cette conception, que l'appartenance à une identité amérindienne procède plus d'une subjectivité que d'un lien génétique ou géographique. Du fait d'un long métissage et d'une réduction des territoires colonisés et réservés, il parait aujourd'hui périlleux de définir l'indianité par l'un ou l'autre de ces éléments. Est plutôt amérindien non seulement celui qui se définit comme tel et celui qui s'inscrit également dans un terrain culturel, historique, mémoriel commun à une nation autochtone. C'est cette appartenance ancestrale, quel qu'en soit son degré, qui imprime une continuité et inscrit une cohésion vivante et créative avec un patrimoine spécifique.
On retrouvera des auteurs qui revendiquent ouvertement une histoire réhabilitée ou militent en faveur de réalités et d'enjeux contemporains ; on retrouvera également des auteurs qui, certes enrichient par le patrimoine sus-cité, ne souhaitent pas pour autant limiter leur art à une ethnicité réductrice. Dans un cas comme dans l'autre, l'affirmation d'une identité amérindienne offre aujourd'hui en littérature des voix d'un grand talent qui méritent amplement d'être découvertes. Je vous invite donc à plonger dans ce petit ouvrage dans lequel vous pourrez picorer un ou deux textes au gré de vos envies. C'est grâce à ce livre que j'ai découvert notamment Virginia Pésémapéo Bordeleau dont je vous parlerai prochainement.
Je me suis faite belle
pour qu'on remarque
la moelle de mes os,
survivante d'un récit
qu'on ne raconte pas
Joséphine Bacon*
Oraquan Corbeau bavard
Mon plumage hirsute vous insulte
j'incommode l'avenue de l'hybride
nature exquise de la nature morte
à genou sur le pas de ta porte
Lumière auxiliaire de la vérité
meurtrière indomptable de l'espoir
radieuse amie du bonheur
par où les mille et une couleurs
jaillissent de mes flambeaux
sur les fils bleus de ma robe
Je vous proclame au sommet
de ma divine complaisance
Vertu incandescente de mon âme
je croasse ma raison démagogue
à l'oreille de votre naïve impasse
où mon ramage culbute dans le chaos
Dédale de l'histoire pris dans l'étau
invulnérable de la pensée en porte-à-faux
Sylvie-Anne Sioui-Trudel
Challenge Amérindiens
6eme lecture
Québec en septembre chez Karine :)
1ere lecture
09:00 Publié dans Challenge, Littérature amérindienne, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (10)
28/08/2013
La Chartreuse de Parme de Stendhal
La Chartreuse de Parme de Stendhal, ed. Le livre de poche, 1839, 530p.
Je me suis fixée comme challenge personnel pour l'année scolaire à venir de lire un certain nombre de "classiques" entassés dans ma PAL depuis heu... le lycée... Histoire de commencer en beauté et pour ne pas le laisser pour la fin (quelque chose me dit que ç'aurait été un plan foireux du type "tiens, finalement, je le lis pas celui là"), j'ai attaqué par un bon gros pavé incontournable mais assez terrifiant pour moi, je l'avoue : La Chartreuse de Parme. Stendhal. Rien que l'auteur me fait frémir. J'ai un mauvais souvenir du rouge et le noir essayé trop jeune et arrêté au bout de 150 pages à bout de souffle. Du coup, je n'avais jamais retenté par peur d'un nouvel échec. D'ailleurs, vous remarquerez que je n'ai pas repris le dit-bouquin échec. Une façon de conjurer le sort? Peut-être bien. Car cette fois-ci, j'ai fini La Chartreuse !
Le roman narre l'évolution de Fabrice Del Dongo, jeune noble italien, au début du XIXeme siècle. Il naît dans un contexte épique qui touche à la légende : Napoléon est à son apogée. En 1796, il entre dans Milan, alors général, et apprend ainsi "au monde qu'après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur". Si son père et son frère aîné sont de fervents royalistes étriqués, Fabrice se ralliera plutôt à la cause républicaine de sa tante. Encore adolescent, il décide de partir combattre aux côtés de Napoléon lors de la bataille de Waterloo. LA fameuse bataille de Waterloo de La Chartreuse de Parme dont on nous a si souvent rabattu les oreilles. Narrée en focalisation interne, de l'oeil d'un jeune premier tellement idéaliste et ignorant du monde de la guerre qu'il en est vraiment drôle, le lecteur ne voit quasiment rien de la bataille. Fabrice se demandera d'ailleurs toujours s'il y a vraiment assisté. Toute cette première partie du roman, qui couvre ensuite son retour semé d'embûches à Milan et une première incarcération à laquelle il échappe, offre un anti-héros plus qu'un héros. Fabrice est naïf et se drape dans le fantasme d'un héroïsme de carnaval. Il se persuade en outre d'avoir lu des signes prémonitoires là où il n'y avait qu'un arbre feuillu. Contre toute attente, j'ai beaucoup ri - car Stendhal a une plume d'une finesse ironique sans pareille absolument délicieuse.
La seconde partie m'a paru un peu plus fastidieuse, c'est pourtant celle qui développe ses amours avec Clélia Conti (il faut dire que je n'ai pas l'âme romantique, ce qui n'aide sûrement pas). Dans cette partie, Fabrice se verra offrir comme possibilité d'avenir d'entrer au séminaire pour devenir haut dignitaire de l'Eglise à Parme comme l'ont été ses ancêtres. Adieu ses rêves de chevalerie depuis son emprisonnement. Heureusement, sa tante devenue duchesse Sanseverina a ses entrées à la cour de Parme et peut ainsi manoeuvrer pour qu'il ne reste pas éternellement caché. Pourtant, Fabrice commet de nouvelles bévues qui lui coûteront cher. De son aveu même, il n'a jamais connu le véritable sentiment d'amour - à part cet attachement fusionnel et réciproque pour sa tante (et incestueux, accessoirement). Il s'entiche d'une petite comédienne insignifiante en prenant cela pour un début de sentiment amoureux et tue son souteneur lors d'une rixe. Un tel évènement, dans le Parme du XIXeme n'aurait du occasionner que peu de retombées pour un noble de sa classe. Mais pour d'obscures raisons politiques largement développées dans le roman et fort complexes (que l'on pourrait néanmoins résumer en disant qu'il s'agit de la sempiternelle guerre entre les royalistes et les républicains), il est incarcéré à la tour Farnèse, LA prison de la cité. Il y retrouve Clélia, jadis croisée sur une route, qui n'est autre que la fille du gouverneur de la prison. Et bien sûr, c'est le coup de foudre. Ils entament alors une délicate relation faite de coups d'oeil et de petits mots furtifs échangés à travers la fenêtre de la geôle. Malgré toute une série de difficultés qui ne vont pas se faire minces, leur amour perdurera jusqu'à la mort des protagonistes, celle de Fabrice intervenant dans une fameuse subordonnée.
Soyons clairs : la brève chronique que je viens de vous servir ne rend pas tellement hommage à ce monument de la littérature française. La Chartreuse de Parme est un roman dense, complexe dont il faudrait parler des heures pour à peine commencer à en effleurer la richesse. J'en retire la très grande surprise d'un Stendhal ironique, piquant et tout simplement virtuose. Une oeuvre pareille écrite en quelques semaines paraît complètement hallucinante pour un regard contemporain. Il faut également préciser que si les intrigues politiques et historiques tiennent une large part dans le roman, elles sont quasiment toutes issues de l'imagination de l'auteur. Le roi de Parme, par exemple, n'a jamais existé. Je n'ai sans doute pas choisi la facilité en le lisant en plein été, avec la chaleur écrasante, et dans une édition poche ancienne avec une police minuscule mais je ne regrette pas le voyage. Il faut s'accrocher, je ne vous dirai pas le contraire. Mais la postérité ne s'est pas planté : c'est un grand roman !
09:00 Publié dans Classiques, Littérature française et francophone | Lien permanent | Commentaires (18)