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18/06/2019

La mort s'invite à Pemberley de P. D. James

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Dernièrement, j'ai été prise d'un revival Pride & prejudice - pas tant de relire le roman, en fait, que de replonger dans l'histoire et de côtoyer à nouveau les personnages. Je me suis sustentée en visionnant à nouveau la mini-série BBC (indépassable) et le film de Joe Wright (qu'étonnamment, j'apprécie de plus en plus ou peut-être me ramollis-je avec le temps par seul plaisir de retrouver cet univers ?) mais ce ne fut pas suffisant. Je n'avais pas envie de rejouer la même histoire en boucle en fait (d'où l'absence de relecture du roman), mais plutôt de continuer à vivre avec eux (et d'un coup, je comprends, ce qui pousse certains fans à s'abreuver d'austeneries jusqu'à plus soif.). Bref, j'ai donc demandé les bons conseils de consœurs très connaisseuses et finalement, il semble qu'il n'existe pas tant de bonnes austeneries que ça (avis à ceux qui en ont sous le coude : je suis preneuse), or je ne suis pas encore suffisamment à fond pour me passer d'une certaine qualité littéraire. Du coup, j'ai opté pour celle qui fait l'unanimité et que j'avais déjà dans ma PAL en prime (nickel) : La mort s'invite à Pemberley de P.D. James. 

L'intrigue commence cinq ans après la fin du roman de Jane Austen, la veille du bal de Lady Anne, feu la mère de Darcy, au domaine de Pemberley. Les époux Bingley sont déjà arrivés sur place, de même qu'Henry Alveston, un de leurs amis, et le colonel Fitzwilliam, cousin de Darcy. Les retrouvailles sont cordiales, voire chaleureuses entre Elizabeth et Jane, mais une tension indicible et latente semble habiter diversement les individus. Tardivement dans la soirée, alors que tout le monde songe à se coucher, surgit un équipage inattendu : La voiture et le cocher du Green Man et Lydia, la benjamine des soeurs Bennet, dans un état pitoyable. Elle hurle à qui veut l'entendre que Wickham, qui s'est élancé dans les bois à la suite du capitaine Denny, a été assassiné. Tout le monde est évidemment dans la stupeur et ces messieurs décident de partir à la recherche des deux hommes dans le bois du domaine... 

Je me rallie très clairement à l'appréciation générale pour dire que ce roman est une fan fiction absolument excellente et savoureuse. En plus d'être une admiratrice évidente de l'époque et de l'oeuvre de Jane Austen, P.D. James, que je découvre pour l'occasion, est indéniablement une auteure bourrée de talent. Ainsi, les personnages et leurs attitudes sont en parfaite cohérence avec les mœurs d'alors et les caractères créés dans l'oeuvre originale tout en développant de nouvelles facettes et en s'étoffant d'une vie nouvelle. P.D. James prend le temps, dans un long prologue, de combler le vide des cinq ans avant d'avancer lentement mais sûrement - ainsi le rythme narratif est, lui aussi, cohérent avec le roman d'inspiration. C'est crédible, croustillant, fin et très juste. J'ai particulièrement goûté le petit clin d’œil suivant : 

S'il s'agissait d'un roman, le plus brillant écrivain lui-même pourrait-il réussir à faire croire à ses lecteurs qu'aussi peu de temps avait suffi à soumettre l'orgueil et à surmonter les préjugés ? (Je crois qu'on a tous la réponse à cette question)

Ceci étant dit, subsiste la question de la trame policière dans tout ça : on pourrait avoir l'impression de prime abord, et c'est un peu la crainte que j'avais, que l'intrigue tombe ici comme un cheveu sur la soupe. Or, il n'en est rien. Certes, par souci de respect historique, elle n'est pas follement haletante et il ne faut pas espérer un page-turner de folie. Par contre, elle offre l'occasion d'une plongée extrêmement instructive et fascinante dans les rouages judiciaires anglais du début du dix-neuvième siècle Aussi, à défaut d'être vif et surprenant, l'ensemble développe une excellente reconstitution historique plausible. Inutile de préciser que je recommande chaudement ce roman à ceux qui, comme moi, souhaitent continuer un bout de chemin avec Lizzie et Darcy sans forcément relire Pride & prejudice. C'est un bon cru, vous pouvez y aller. 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine 

10/06/2019

Le Serpent de l'Essex de Sarah Perry

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Janvier : Cora Seaborne vient tout juste de perdre son mari - et puisque le récit prend place dans l'Angleterre victorienne de la fin du XIXème siècle, un tel événement équivaut autant à un cataclysme qu'à une liberté retrouvée pour la jeune veuve. Mariée tôt, comme toutes les femmes ou presque à cette époque, elle n'a connu rien d'autre que la domination masculine, passant du père au mari comme il seyait alors. Michael Seaborne est l'homme qui [l']a faite, lui offrant l'éducation et la culture, entre autres cette passion pour la paléontologie. En contrepartie, Michael était un homme froid, cinglant et violent : son corps s'en souvient. Autant dire qu'elle ne saurait souffrir de la mort d'un tel mari. Aussitôt enterré, ou presque, Cora part avec Martha, son amie socialiste convaincue et son fils Francis, très clairement Asperger même si un tel terme n'est évidemment jamais mentionné au vu de son anachronisme à l'époque des faits, dans l'Essex rural. Les deux femmes y font de longues marches vivifiantes et Francis amasse toutes sortes d'objets insolites qui créent un monde cohérent dans son esprit atypique jusqu'au jour où Cora entend parler du serpent. Ce monstre marin légendaire reprend du service après plusieurs siècles de silence sur les lèvres de tous les habitants des environs d'Aldwinter. Cora est piquée de curiosité. Elle se demande si elle ne pourrait pas être la nouvelle Mary Anning car elle est persuadée que le serpent est de ces animaux préhistoriques encore inconnus. Elle embarque sa troupe au village d'Aldwinter où elle fait la connaissance de la famille Ransome et se lie particulièrement avec le pasteur, William.

La question, ce n'est pas ce que je vois, mais ce que je sens : je ne vois pas l'éther ; pourtant, je le sens qui entre et qui part, et je dépends de lui. Je sens que quelque chose arrive : tôt ou tard, souvenez-vous-en. Ce quelque chose s'est déjà vu, comme vous le savez, et il reviendra, sinon de mon vivant, du vôtre ou de celui de vos enfants, donc je me prépare, mon révérend, et si je pouvais me permettre un instant cette audace, je vous recommanderais d'en faire autant. 

Autour de ce noyau dur de personnages dont les relations se développent dès la fin de février grâce à l'entremise des Ambrose se tissent mille et un autres personnages et mille et une autres relations, plus ou moins discrètes, plus ou moins furtives qui composent toute une variation délicieuse sur le thème de l'amitié.
L'amitié, n'est-ce pas, est un sentiment finalement peu exploité en littérature, tout du moins en temps que thème principal - car il y a bien toujours des amis dans la plupart des romans, d'amour par exemple, mais ils ne sont alors qu'un contrepoint. Dans ce roman de Sarah Perry, l'amitié s'affirme, à juste titre me semble-t-il, comme le pilier fondamental des relations humaines et à l'occasion elle flirte avec bien d'autres sentiments - l'amour, la passion, le désir, l'égoïsme, l'idéalisme, l'ambition, la possession, la filiation, la folie - se colore, se mélange, devient mystère, angoisse ou épanouissement mais toujours finit par être la véritable boussole des existences. Ce parti pris, auquel je souscris complètement, et l'incroyable subtilité des variations harmoniques amicales de l'auteure font de ce roman un texte passionnant, fin et juste. Malgré l'empreinte puissante de l'époque victorienne dont elle est aussi, évidemment, une excellente cartographie politique et sociale, et c'en est un plaisir, ce texte résonne de façon puissamment intemporelle. 

J'ai toujours dit qu'il n'y a pas de mystères, rien que des choses que nous ne connaissons pas encore, mais récemment, j'ai pensé que même la connaissance ne pouvait pas retirer toute son étrangeté au monde.

Puisque les êtres, bien plus que les faits, sont au cœur du roman, mieux vaut apprécier une certaine lenteur narrative pour être tout à fait plongé dans les mois qui défilent et ne pas s'attendre à des rebondissements saisissants. La mécanique des cœurs se met en branle doucement, parfois fortuitement, et de façon plausible - comprendre par là qu'il n'y a pas de surenchère illusoire pour faire rêver dans les chaumières. C'est doux et pertinent à défaut d'être fou et fantasmé. Le Serpent de l'Essex est de ces romans que l'on apprécie lorsqu'on on a fait le deuil d'une quelconque attente en tournant les pages : on est dans la vraie vie dès le départ, qui n'attend pas d'événements particuliers pour débuter, qui ne connaît pas cette perpétuelle répétition du même qu'on voit venir à des kilomètres joliment appelé cliché (c'était ma crainte concernant la relation de Cora et Will et, merveille, l'auteure a brillamment tout évité) et qui, conséquemment, n'est pas suspendu à une hypothétique closure finale non plus. Décidément, il faut se détacher de la linéarité en lisant ce roman. Ni début, ni rebondissements, ni fantasmes, ni fin ; seulement la vie et donc l'amitié. Très simplement. 

En plus, j'ai eu la chance de lire ce roman en lecture commune avec une de mes plus chères amies : je ne pouvais pas rêver meilleure cerise sur ce délicieux gâteau. Merci pour nos échanges, ma petite Mélie d'amour ♥

 

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Participation au mois anglais chez Lou et Titine 

06/05/2019

Les femmes de Heart Spring Mountain de Robin MacArthur

les femmes de heart spring mountain,robin macarthur,albin michel,roman américain,usa,états-unis,voix,destins,passé,famille,racines,amour,filiation,réconciliation,vermont,ouragan,mère,fille,premier roman"Combien d'années on peut tenir sans joie, avant que tout ce bordel se casse la figure ?" demandait Bonnie des années plus tôt [...]. 

Lorsqu'Irene s'abat sur le Vermont le 28 août 2011, Bonnie se fait un shoot d'héroïne et part déambuler dans les rues de sa ville ravagée par l'ouragan. Elle est en plein trip, s'avance vers les eaux en crue de la Silver Creek et disparaît. Sa fille Vale, à plusieurs kilomètres de là depuis huit ans pour mettre à distance cette relation douloureuse à la mère, prend immédiatement le chemin de Heart Spring Mountain, le fief familial, cette montagne où naît la Silver Creek et où ses ancêtres se sont installés depuis des générations. S'y retrouvent à présent trois existences de femmes pleines de failles et d'étincelles : Hazel, la grande tante antédiluvienne qui commence doucement à perdre la tête et à mélanger les époques ; Deb, la tante par alliance qui a autant aimé ce coin de montagne que Stephen, le fils d'Hazel ; et Vale, en plein tourment. A travers elles, et à travers chaque parcelle de cette nature puissante, résonne aussi la voix de Lena, la grand-mère de Vale, la tante de Stephen et la sœur d'Hazel, morte en couches peu après la naissance de Bonnie. En recherchant sa mère, Vale part en même temps à la recherche d'elle-même, de ses racines longtemps mises à l'écart et qui sont pourtant, souvent, le remède pour aller de l'avant. 

C'est le leitmotiv de la souffrance qui les réunit. Et pourtant, Vale : Deb voit des lueurs d'espoir dans sa présence. Vale qui éclaircit les mystères du passé, qui détricote une histoire révisionniste où l'amour existait là aussi. 

Franchement, je n'avais formulé aucune attente à propos de ce roman malgré -ou peut-être à cause - de son matraquage sur les réseaux sociaux. C'aurait même eu tendance à me refroidir - mais voilà qu'il m'a appelée un beau jour tandis que je passais dans une librairie et je n'ai pas tergiversé. Ça m'arrive extrêmement rarement de céder ainsi à l'appel d'un grand format et encore plus rarement de l'entamer immédiatement dans la foulée, ça méritait donc d'être souligné. Et j'ai furieusement bien fait. 

Objectivement, ces existences de femmes n'ont rien de follement extraordinaires : elles se débattent, chacune, avec un passé tortueux, des doutes présents et un avenir incertain, des sentiments souvent mêlés et ce feu intérieur qui réchauffe autant qu'il brûle. Autour d'elles gravitent nombres d'hommes aux mêmes mille facettes compliquées mais toujours bienveillants. Robin MacArthur crée ici des personnages banals c'est-à-dire vibrants, des monsieur-et madame-tout-le-monde qui ont cette force et cette épaisseur furieuse de vivre quoiqu'il en coûte. Et c'est là que le pari de ce premier roman réussit : on est complètement embarqué dans ces voix et ces époques qui se croisent pour remettre en ordre le puzzle familial parce qu'elles sonnent vraies et sont très attachantes - à défaut d'être extrêmement fouillées ou étonnamment originales. 

Il y a d'autres empreintes, qu'elle n'identifie pas. De martre ? De renard ? Celles d'animaux qui s'éveillent avec le jour et viennent s'abreuver. Dans ce proche avenir apocalyptique, se dit-elle, je serai comme eux : regard aux aguets, oreilles dressées, tournant la tête en tous sens. Réfugiée près de ces marécages fertiles ; réapprenant toutes ces choses oubliées. 

Le récit se lit d'un souffle, aimantés que nous sommes à ces personnages amis et ce n'est pas sans regret que je les ai quittés, un peu plus apaisés sans doute ou du moins sur le chemin de l'être. C'est ce qui me console d'avoir tourné la dernière page, sans vraiment leur avoir dit au revoir car ils m'accompagnent encore un peu en rédigeant cette chronique. Je pourrais aussi souligner, pour être tout à fait franche, qu'il m'a semblé sentir dans le style de Robin MacArthur la jeunesse de son entreprise romanesque. Certains tics d'écriture sont presque palpables tant ils se retrouvent souvent (les phrases nominales, les subordonnées relatives, l'usage des deux points...). Mais enfin, il faut que jeunesse se fasse et je crois que, de plus en plus, j'apprécie lire que la verve romanesque, cette capacité à donner vie à des êtres et des existences de mots et de papier, est décidément aussi vivace. Tant qu'il y aura de la fiction, il y aura de l'espoir. 

"Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir", récite la jeune femme, les larmes aux yeux. Puis elle s'adresse à eux : "Et vous, mes salauds, quelle sera votre mission ?"

Par ici, les billets de Marie-Claude et d'Electra que j'ai découverts après avoir commencé la lecture du roman et qui sont en parfaite résonance avec mon sentiment.